HURRICANE CHARLEY

Bửu Sao

 

 

A nos chers Anglais:

Nous avons bien reçu vos deux emails juste ce matin 19 août aussitôt le courant rétabli. Cela nous fait bien chaud au coeur de recevoir des réconforts venus de nos enfants après une pareille aventure, merci. Vous m'en avez aussi demandé le rapport, le voici en bref:  

Le lundi 10 août, la météo avait  tracé l'itinéraire de l'hurricane Charley, de Key West, l'extrême sud de la Floride, longeant la côte Ouest vers Tampa pour aller se perdre en Caroline du Nord. On était tranquile. Mais pas pour longtemps, car la toupie ravageuse a subitement changé de direction. Le jeudi 12, on nous prévint qu'elle se dirigerait droit sur nous le lendemain, le bien nommé vendredi 13, puis continuer ses ravages jusqu'à Daytona Beach, au nord-est!  Nous avions tout juste le temps de nous acheter deux touques de 20 litres d'eau minérale supplémentaire; en fait de nourriture, en prévision des invités des vacances, nous en avons en stock pour trois semaines dans le frigo. Le matin du vendredi, je commençai à calfeutrer les trois fenêtres du salon avec des panneaux de contre-plaqués, je fis le tour de la maison, rentrant les outils, rassemblant les pots de fleurs, démontant les équipements électroniques les mettant sous les meubles du salon. Le soir, vers 8 h 30 le vent commença à souffler très fort. Nous étions alors devant l'écran, observant presque en direct la  progression du monstre de proche en proche. Quand la télé annonça la vitesse du vent de 120 miles à l'heure à Kissemee, situé à 20 miles de chez nous, nous commençâmes à réciter notre Rosaire. Vers 9 heures des raffales de vent commencèrent à se manifester, suivies des bruits de craquements de branches d'arbres. Puis subitement tout s'estompe. En tâtonnant dans le noir complet nous allâmes nous réfugier dans le walking-closet, le coin le plus sûr de la maison. Des branches commencèrent à chuter sur les toits, puis des bruits d'arbres fauchés un peu partout. On se prépare au pire. La bourrasque a duré le temps d'un chapelet. Ai-je la Foi ou pas? C'est le moment de se le demander, le moment des épreuves ultimes où chacun sent la main de Dieu posée sur lui. Pour les croyants, ce n'est point la mort qu'on redoute, c'est plutôt l'angoisse devant un destin personnel en train de s'accomplir. La tempête apaisée, nous adressâmes des prières de remerciements et nous nous mimes au lit, toujours dans le noir complet, sous une chaleur étouffante. On dormait à peine. Vers 5 heures au matin, je suis allé compter les dégâts: ce n'était pas la fin du monde, juste quelques branches suspendues encore sur nos toits, beaucoup jonchant le jardin. Pas de dégâts donc, sauf deux arbres qui se penchent dangereusement l'un du côté chambre à coucher, l'autre du côté bibliothèque. Le  problème était de sauver les victuailles de la pourriture. Des gens se précipitent vers les Stations-services pour le plein d'essence et des sacs de glaçons. Bien pourvu je suis rentré en sifflant l'air de la Marquise: "Pourtant qu'il faut, il faut que l'on vous dise: tout va très bien, tout va très bien!"

Du vendredi 13 au jeudi 19: on a vécu l'expérience d'un passé lointain: pas de lumière, pas d'eau chaude, pas de téléphone. La radio réveille-matin nous livre les premières nouvelles: au dernier recensement: 25 morts, une centaine de blessés, près d'un million de sinistrés en Centre-Floride. Quelque part, un four à barbe-cue s'est envolé d'un Patio pour atterrir dans la piscine du voisin; plus loin, un vieux couple regardant la télé avec leur fils dans un mobil-home, le vieux couple est projeté dans les airs et retombés morts près de leur maison décarcassée, leur fils admis à l'hopital dans un état grave: ils n'ont pas suivi la consigne de quitter les lieux. Beaucoup d'exemples d'entre-aides parmi la population. Dans le train train du journalier, on se dit à peine Hi! Aujourd'hui  la détresse a opéré le miracle de la fraternité humaine. Des gens, sans distinctions de races, s'invitent les uns chez les autres, se partagent la nourriture, proposent même leur salle de bains. On voit des fils de rallonge trasférer le courant d'une maison à l'autre. Nous disposons pour notre part  d'une cuisine à gaz dans le Patio pour y préparer nos repas. La jeune soeur de Ngoc Lan a sa pharmacie privée de courant, mais sa maison est presque indemne, sauf un trou dans les toits. Nous y allions déposer nos provisions en attendant le retour du courant.

Le bilan des dégâts s'élève à 15 milliards! Pour un pays hyper-industrialisé, c'est deux fois le plan Marshall servi à domicile: du travail pour des milliers de personnes, des commandes pour toutes les industries. De gros camions transportent des matériaux de construction, des derricks et des voiture échelles affluent de toutes parts. Le malheur des uns font le bonheur de tous. Tel est le sort des pays riches. En attendant que tout s'arrange, des repas, de l'eau, des couvertures sont distribués aux carrefours. Des dortoirs sont aménagés dans des établissements scolaires. L'irrémédiable c'est évidemment la perte des vies humaines. In Memoriam. 

Le lundi 16, la poste m'apporta un gros paquet de livres venus de Paris dont une Histoire de Paul de Tarse. L'apôtre est venu à point nommé. Chaque matin, vers 6 heures, je m'installe dans le Patio, sur ma rocking-chair anglaise, le livre posé sur mes genoux: je guette la lumière du jour. Vers 6h30, aux premiers rayons du soleil, chaque page de lecture  l'une après l'autre s'éveille et m'illumine l'esprit. Je n'aurai jamais l'occasion de sentir pareil effet en poussant le bouton électrique. Il en est de même du chaud et du froid. La douche froide chaque matin revigorise les muscles et nous exerce à l'endurance, la douche chaude, elle, nous met d'emblée dans un confort alourdissant. Dans la journée, l'absence d'images télévisuelles est une libération. Et l'on commence à se demander: Que nous apporte le progrès technologique? Deux modes de vie nous forcent à y réfléchir: Paul de Tarse du premier siècle et Jean Paul II du troisième millénaire: deux belles tornades  dont le sillage de par le monde établit le lien de fraternité entre les hommes.