...Un temps pour la guerre, un temps pour la paix

 

Dr Phan Van Song


 

Il y a un temps pour tout ; il y a, sous le ciel, un moment pour chaque chose. Il y a un temps pour naître, un temps pour mourir. – un temps pour planter, un temps pour arracher ce qui a été planté – un temps pour tuer, un temps pour guérir – un temps pour démolir, un temps pour bâtir – un temps pour pleurer, un temps pour rire – un temps pour gémir, un temps pour sauter de joie – un temps pour jeter des pierres, un temps pour les ramasser – un temps pour embrasser, un temps pour s’arracher aux embrassements – un temps pour chercher, un temps pour perdre – un temps pour conserver, un temps pour dissiper – un temps pour déchirer, un temps pour coudre – un temps pour se taire, un temps pour parler – un temps pour aimer, un temps pour haïr – un temps pour la guerre, un temps pour la paix.

Ecclésiaste, chapitre 3, versets 1 à 8.

 

 

            2005, une ère nouvelle de paix : des démarches, des efforts pour la paix dans le monde sont en train de se dérouler.

            En Ukraine, la révolution « Orange » a donné le pouvoir par une vraie élection au candidat voulu et soutenu par la majorité d’un peuple.

            En Irak, avec la peur au ventre, huit millions de personnes sont allées voter, malgré la menace des terroristes, malgré l’appel au boycott.

            En Palestine, les pourparlers  pour un cessez-le-feu ont commencé entre les autorités palestiniennes présidées par Mahmoud Abbas et Ariel Sharon, premier ministre de l’Etat d’Israël. Paix, pourparlers, élections, droit…        

            Pour nous aussi, au Vietnam, ce devrait enfin être le temps des pourparlers, des échanges d’idées, des négociations, des alliances, des associations, j’avance un pas, je recule un pas, le temps du pluralisme, de la démocratie, de la paix. Or subsistent toujours les dialectiques du siècle dernier : la dictature du prolétariat, du passé faisons table rasesus aux fantoches, sus aux colonialistes, aux impérialistes, l’anti-américanisme pour libérer le peuple, etc.

            Les autorités communistes  de Hanoi, dans cette ambiance, sont obligées de laisser sortir plus de 8 000 prisonniers de toutes catégories dont cinq prisonniers politiques, pour prouver leur bonne volonté avant la date butoir du 15 mars, fixée par le Congrès américain. En effet, le Vietnam est depuis quelques mois sur la liste des « pays à surveiller d’une manière particulière »  (Countries Particulary concerned,  « CPC ») et il a jusqu’au 15 mars pour en sortir en démontrant sa volonté de respecter les libertés d’opinion, les pratiques religieuses et les cultes. Faute de quoi, il s’exposerait à des sanctions économiques.

 

            Ces cinq prisonniers politiques rendus avant terme à leur famille sont les suivants :

- Le journaliste, écrivain, enseignant Nguyen Dinh Huy, 73 ans, condamné à 15 ans de prison pour « tentative d’organiser le renversement de l’Etat socialiste ». Il avait tout simplement voulu organiser un séminaire avec participation d’experts étrangers (donc ayant obtenu leurs visas d’entrée au Vietnam) sur le thème « Comment développer économiquement le Vietnam », séminaire autorisé puis annulé à la dernière minute  par les autorités de Hanoi en 1993. Monsieur Nguyen Dinh Huy venait alors de sortir  de différents camps de rééducation du nord et du sud Vietnam, camps où il était interné  sans jugement  depuis mai 1975. Il a donc totalisé, avec ces deux périodes, 29 années d’incarcération dans les geôles communistes vietnamiennes.

- Le médecin Nguyen Dan Que, 63 ans, dont 18 ans d’incarcération en plusieurs fois pour divers motifs,   le dernier pour avoir exprimé son opinion sur internet et l’avoir communiquée à  « l’étranger », crime d’espionnage (sic).

- Le  prêtre catholique Nguyen Van Ly, condamné pour avoir demandé la liberté d’organiser les cultes et les processions dans sa paroisse et qui a osé dans un prêche demander la liberté religieuse et les libertés de cultes au Vietnam.

- Le prêtre bouddhiste Thich Thien Minh, condamné pour avoir transformé son lieu d’habitation en pagode.

- Le pratiquant bouddhiste Hoa Hao, Truong Van Duc, condamné pour avoir refusé de reconnaître le Conseil paroissial imposé par les autorités locales en dépit des avis des paroissiens.

 

            Cinq prisonniers politiques, cinq motifs de condamnations différents, cinq opinions différentes nous prouvent la pluralité des opinions d’opposition au Vietnam. En les rendant à leur famille, les autorités de Hanoi veulent démontrer à l’opinion internationale qu’elles exécutent les « diktats » de l’Union européenne et de l’administration actuelle des Etats-Unis et ainsi éviter toute punition économique pour manquement aux respects des droits de l’homme et des libertés religieuses.

 

            Et les autres prisonniers politiques ?

- Le révérend Nguyen Hong Quang, pasteur et responsable de l’Eglise Mennonite du Vietnam et les prédicateurs de cette même église actuellement en prison pour « violence contre les forces de la police » : lorsque celle-ci est intervenue dans leur culte,  ils se sont tenus par la main pour ne pas être dispersés.

- Les prédicateurs et colporteurs de la Bonne Parole des Eglises Evangélistes et des Eglises de Maison protestantes des Hauts-Plateaux du sud Vietnam et du nord Vietnam, arrêtés sans jugement, pour avoir osé prêcher sans demander la permission de réunion et sans avoir donné les textes de leurs prédications à la censure des autorités locales. (La Bible elle-même est confisquée, seule une version ayant reçu l’imprimatur de la librairie du Parti Communiste du Vietnam est autorisée, mais elle ne peut qu’être vendue et son prix est prohibitif.)

- Les anciens compagnons du Parti devenus dissidents, les opposants issus des familles d’apparatchiks, éduqués dans le sérail des écoles du Parti et qui aujourd’hui le contestent, condamnés pour avoir osé s’exprimer : Pham Hong Son, Nguyen Vu Binh, Nguyen Khac Toan, etc.

            Pourquoi n’ont-ils pas été rendus à leur famille ?

            Sont-ils gardés pour une autre occasion, otages pour répondre à d’autres exigences, à d’autres marchandages, à d’autres négociations ? Poser la question c’est déjà y répondre. Ainsi, la clémence, le pardon, la politique, la justice... tout est négociation, tout est négociable.

 

            Et ces cinq prisonniers politiques rendus à leur famille avant terme : sont-ils vraiment « libérés » ? Est-ce  la «  liberté » qu’on leur a rendue ?

            Comment  parler de liberté quand l’entrée de sa maison est constamment surveillée par des policiers en tenue banalisée ? Comment parler de liberté quand dans sa propre maison, sont présents en permanence un, parfois deux, agents de la sécurité qui assistent aux conversations avec les membres de la famille et avec les visiteurs (lesquels sont systématiquement interrogés sur leur identité et sur les raisons de leur présence) et  qui écoutent les conversations téléphoniques ? Comment parler de   liberté, quand ces mêmes agents de sécurité  utilisent les lieux privés de la maison  (cuisine, toilettes) et partagent les repas de la famille ?  C’est ce qui arrive à Monsieur Nguyen Dinh Huy et  à Monsieur Nguyen Dan Que.

            Comment  parler de liberté  quand on exige d’un religieux qu’il aille chez son frère laïc et qu’il mène ainsi une vie laïque (Cas du vénérable Thich Thien Minh) ? Comment parler de liberté  quand un prisonnier ayant payé sa dette à la société continue à être en résidence surveillée et doit aller tous les jours faire son rapport  de la journée passée ? Comment parler de liberté quand tout déplacement d’un ancien prisonnier doit être « autorisé » ? Comment parler de liberté  quand tout déplacement de chaque citoyen d’une région à une autre est soumis au régime de « visa » c’est-à-dire d’autorisation ?

 

            Pendant ce temps, le décret n° 36 du Parti demande aux agents diplomatiques des ambassades et services consulaires du Vietnam à l’étranger de faire « tous les efforts possibles » pour « dialoguer » avec la diaspora vietnamienne. Quelle ironie ! Se forcer à dialoguer avec la diaspora,  leur parler un langage de paix, un langage de réconciliation. Par contre au pays, avec ses propres citoyens, c’est un langage de guerre qu’on continue à utiliser : menaces, surveillance, interdiction, prison … La main droite ouvre, la main gauche serre, arrête, écoute les conversations, censure le courrier, violant les ultimes droits les plus personnels de l’homme parce que les plus intimes.

            Ainsi la réconciliation est-elle réservée au domaine de la diplomatie ? Car dans le quotidien du Vietnamien, c’est le langage de la guerre, de la destruction de tout sentiment national, de la gouvernance par un système d’apartheid politique. Toute la République Socialiste du Vietnam est régie par un système de discrimination politique : celui qui appartient au Parti/celui qui n’y appartient pas ; celui qui gouverne/celui qui obéit ; l’agent de sécurité/ le surveillé ; l’agent de l’Etat originaire du Nord réquisitionnant biens et maisons/ l’habitant  « fantoche » du Sud dépossédé de ses biens et de son habitation.

            Si, en Occident, la guerre du Vietnam est du passé (on célèbrera le 30 avril prochain les trente ans de la chute de Saigon), au Vietnam le Parti Communiste n’a rien  changé de son discours ni de   sa mentalité de guerre.

            Souhaitons que cette année du temps des efforts, des discours pour la paix dans le monde apporte un peu de changements dans leur mentalité. Que les autorités communistes de Hanoi apprennent enfin les leçons de la paix. Qu’une ère de réconciliation et de paix  s’ouvre entre Vietnamiens mais auparavant que les bourreaux sachent dire leurs mots de repentance et s’excuser auprès de leurs victimes.

            … Un temps pour la guerre, un temps pour la paix.

 

Tet de l’Année At Dau ( du Coq)

Phan Van Song