Le Portugal et la

 romanisation

de la langue

 vietnamienne


Faut-il réécrire l’histoire ?

 

Roland JACQUES

 

N.B. Le texte ci-dessous est une version revue et mise à jour de l’article paru sous le même titre dans la Revue Française d’Histoire d’Outre-Mer, no 85, 1998, p. 21-54. Une traduction vietnamienne est parue dans Định Hướng no 17, hiver 1998, p. 18-62.

 

En 1651 paraissaient à Rome deux ouvrages qui présentent un très grand intérêt pour l’histoire de la langue vietnamienne: un Dictionnaire Annamite-Portugais-Latin, et un Catéchisme pour les candidats au baptême, divisé en huit journées [1]; la grande nouveauté était l’utilisation d’un système d’écriture révolutionnaire dérivé de l’alphabet latin, d’invention alors toute récente, celui que l’on appelle communément aujourd’hui quốc ngữ. Pendant près de deux siècles, jusqu’à la parution du Dictionnaire Annamite-Latin de Taberd en 1838 [2], ces deux ouvrages en restèrent les seules applications imprimées. Les deux volumes indiquent clairement en couverture le nom de l’auteur: Alexandre de Rhodes, de la Compagnie de Jésus, missionnaire apostolique.

L’expression sino-vietnamienne « quốc ngữ » signifie littéralement « langue nationale ». Il s’agit d’une périphrase qui désigne, en principe, la langue vietnamienne proprement dite par opposition à la langue chinoise, cette dernière ayant joui pendant des siècles d’un statut officiel. L’usage a cependant fait évoluer la sémantique. Appliquée à la forme écrite de la langue, l’expression a sans doute fait référence d’abord au nôm, un système d’écriture dérivé des caractères chinois dont il sera question plus loin. Mais depuis 1900 environ, l’expression désigne techniquement la langue vietnamienne notée en écriture alphabétique; cette acception est la seule reçue aujourd’hui. Ce quốc ngữ, ainsi défini, est construit sur la base de l’alphabet latin, complété par deux types de diacritiques, pour correspondre à la multiplicité des phonèmes du vietnamien, et pour marquer graphiquement les tons. C’est l’écriture universellement utilisée aujourd’hui par les Vietnamiens.

Lorsque le quốc ngữ a commencé sa carrière officielle au Viêt-nam au début du xxe siècle [3], ou que l’on a cherché à en faire l’histoire, le nom d’Alexandre de Rhodes s’est imposé d’emblée comme celui du père de la romanisation. Le voici bientôt porté aux nues comme une sorte d’astre solitaire éclairant la nuit du passé lointain, de ces premiers temps de la mission avant que n’arrivent les missionnaires de Paris dont Taberd et ses successeurs sont d’illustres représentants. La colonie laîque et l’Église se mirent à l’unisson pour chanter le génie missionnaire et linguistique incomparable du Jésuite, pour louer les bienfaits dont lui était redevable le Viêt-nam moderne. « Le P. Alexandre de Rhodes introduit le christianisme et la France au Viêt-nam », écrit un auteur [4]. Il y a toutefois des évidences trompeuses...

Mais qui était Alexandre de Rhodes? Il était né en Avignon dans les États du Pape en 1593, et avait rejoint la Compagnie à Rome en 1612. Embarqué à Lisbonne pour l’Orient en 1619, il arriva à Macao en 1623, et fut envoyé à la mission de Cochinchine en 1624. Il en fut rappelé deux ans plus tard en vue de fonder, avec le portugais Pêro Marques comme supérieur, la mission du Tonkin; il y séjourna de 1627 à son expulsion en 1630. Après dix ans passés à Macao (1630-1640), il fut renvoyé en Cochinchine comme responsable de cette mission; il y fit trois séjours entre 1640 et son expulsion définitive en 1645. Fin 1645, il s’embarqua pour l’Europe: il allait traiter de l’avenir de la mission du Viêt-nam à Rome (1649-1652), puis en France (1652-1654). Il fut ensuite affecté à la mission jésuite de Perse, ó il séjourna à Ispahan de 1655 jusqu’à sa mort en 1660.

Pour ce qui est de la paternité de Rhodes vis-à-vis des travaux décisifs sur la langue vietnamienne, les scientifiques furent quelque peu gênés par une contradiction. Natif d’Avignon, le missionnaire était présumé de langue maternelle française; or le système de transcription du vietnamien en caractères latins ne porte guère la marque de la langue de Boileau... Personne cependant n’instruira de procès en déni de paternité à l’encontre du père putatif de cette écriture; on s’ingéniera plutôt à tourner la difficulté en mettant en avant les origines cosmopolites supposées de l’Avignonnais [5], et en renchérissant sur ses compétences hors pair de linguiste polyglotte. Certains, plus clairvoyants, plus attentifs aux réalités historiques, parlent d’une œuvre collective, due à des missionnaires « portugais, espagnols, italiens et français [6] », ayant laissé chacun leur trace; mais le rôle le plus éminent revient toujours à Rhodes.

La liste fournie ne laisse pas d’étonner. Si la présence de missionnaires portugais et italiens est réelle dans les années ó s’est fait le travail de création du quốc ngữ, et qu’Alexandre de Rhodes, sujet des États du Pape, peut faire à la rigueur figure de « Français » par sa culture, les Espagnols n’ont strictement rien à y voir, à moins qu’on veuille faire intervenir le bisaðeul immigré du même Rhodes... Les premiers missionnaires français, les Jésuites Joseph François Tissanier et Pierre Jacques Albier, débarquèrent au pays en 1658; les Dominicains espagnols vinrent en 1676 [7].

Ainsi, le grand vietnamisant Haudricourt, dans un article qui est une merveille d’érudition, prétendit retrouver dans le quốc ngữ des traces de nombreux systèmes phonétiques européens, jusqu’à des dialectes basques [8].

Bien suâr, l’anticolonialisme des années suivant l’indépendance du Viêt-nam ne sera pas en reste, et vouera aux gémonies celui par lequel tout le mal était arrivé. La romanisation de l’écriture fut classée comme un acte politique hostile, comme une entreprise de déstructuration culturelle visant à diviser la communauté nationale et à imposer une domination étrangère; Rhodes n’était-il pas, d’ailleurs, parti en Europe appeler l’armée française?

Nous reviendrons plus loin sur ce type de jugement, que nous ne souhaitons pas discuter de façon idéologique, mais confronter avec les sources disponibles. Il est vrai qu’Alexandre de Rhodes a parfois employé dans ses publications un langage imagé: « J’ai cru que la France, étant le plus pieux royaume du monde, me fournirait plusieurs soldats qui aillent à la conquête de tout l’Orient, pour l’assujettir à Jésus-Christ, et particulièrement que j’y trouverais moyen d’avoir des évêques, qui fussent nos pères et nos maýtres en ces Églises... » [9]. Il s’est trouvé des universitaires pour interpréter littéralement les pieuses métaphores de ‘soldats’ et de ‘conquêtes’ [10].

Quant à la locution habituelle « romanisation du vietnamien », elle est malencontreuse et prête à confusion. Le terme ‘romanisation’ pourrait laisser entendre une transformation de la langue par les ‘Romains’ (Européens) selon leurs propres vues, avec des relents de colonialisme. Il s’agit, en fait, de la représentation des phonèmes de la langue vietnamienne parlée à l’aide d’un système alphabétique dérivé de l’alphabet latin, plutôt qu’à l’aide de signes syllabiques dérivés du système chinois. Ceci précisé, l’expression est difficile à éviter, étant consacrée par l’usage.

Quoi qu’il en soit, il faut attendre 1993 pour voir Rhodes réhabilité... mais à nouveau lui seul. Il a aujourd’hui retrouvé sa plaque commémorative de 1941, placée désormais à demeure dans les jardins de la Bibliothèque nationale de Hà Nội et inaugurée à nouveau en 1995[11]; il y est honoré en tant que « père » de l’écriture vietnamienne [12].

En apprenant les premiers rudiments de vietnamien sur les bancs des Langues’O à Paris, nous avons d’emblée été frappé, pour notre part, par l’allure très portugaise de cette écriture; cela a été le point de départ de recherches à la fois historiques et linguistiques qui nous ont permis d’acquérir une certaine familiarité avec des fonds d’archives peu connus et peu cités. Ceux-ci nous ont paru aptes à apporter un nouvel éclairage à la question posée en tête de ces lignes. Beaucoup d’études publiées sur Alexandre de Rhodes nous ont paru insatisfaisantes, dans la mesure ó elles tenaient insuffisamment compte du contexte historique et religieux ó s’est situé l’ensemble de son action en Extrême-Orient [13] — il n’y était pas, en effet, le représentant du roi de France, mais bien du roi du Portugal à qui il avait juré allégeance en tant que missionnaire soumis au patronat de la couronne [14]. Les conclusions de ces études nous semblaient, dès lors, sujettes à vérification. Nous tenterons ici de mettre d’abord en relief le contexte d’histoire générale, tel qu’il ressort du corpus d’archives consulté, afin de mieux saisir ensuite dans quelles circonstances, par qui et dans quel but a été faite la romanisation de l’écriture vietnamienne.

 

1. La rencontre historique entre le Portugal et le Viêt-nam

 

Prenons comme référence le siècle et demi compris entre 1498, date symbolique de l’arrivée des premières nefs portugaises en Inde, et 1651, date des publications citées au début de ces lignes. Il faut rappeler que le Portugal a d’abord conquis puis conservé, durant tout un siècle, le monopole de la présence européenne en Asie [15], tant pour le commerce que pour la mission. Au tournant du xvie et du xviie siècle apparurent des compétiteurs pour le commerce: les Hollandais et les Anglais. Dans les deux cas, il s’agissait de nations non catholiques, de sorte que ni les uns ni les autres n’eurent d’influence directe sur les missions portugaises. La France, pour sa part, est restée totalement absente du terrain asiatique durant toute la période de référence. Par contre, on y trouve indirectement l’Italie: même si aucun État de la péninsule n’a été présent comme tel, le Portugal avait intégré dans ses propres rangs, d’abord des navigateurs, puis surtout des missionnaires qui en étaient originaires. Le Viêt-nam ne fit pas exception, et la mission chrétienne, restée constamment d’obédience portugaise pendant la période de référence, y a compté plusieurs Italiens de grande valeur. Alexandre de Rhodes, sujet du Pape et formé à Rome, fait partie de ce groupe. Mais avant d’examiner de plus près l’action de la mission chrétienne, il convient de mieux situer la rencontre entre le Portugal et le Viêt-nam.

Après 1511 [16], lorsque les navigateurs portugais commencèrent à remonter vers le nord au-delà du détroit de Malacca, leur intérêt fut capté par deux grands empires, le Japon et la Chine. Aux navigateurs et aux commerçants, le chapelet de petits États entre Malacca et Macao ne fournirent guère que des escales de ravitaillement [17]. Quant aux missionnaires, à partir de François Xavier [18] au milieu du xvie siècle, le but de tous leurs efforts fut de convertir l’empereur de Chine: une fois cette conversion acquise, les États tributaires, du Tonkin au Siam, devaient nécessairement suivre son exemple, pensait-on [19]. Il n’y avait pas lieu, dans le cadre de cette stratégie missionnaire, de leur donner la priorité.

De fait, les premiers contacts entre le monde portugais et le Viêt-nam sont anecdotiques. On citera, pour mémoire, un padrão érigé en 1524 dans l’ýle faisant face au port de Faðfô (Hội An), dont est témoin Fernão Mendes Pinto [20]; un premier essai de prédication du christianisme en 1533, pour lequel on ne dispose que d’une unique source vietnamienne, indirecte et tardive [21]; et enfin une première observation linguistique, bien décevante, faite par Gaspar da Cruz au cours d’une escale en 1555, et racontée dans son Traité de la Chine[22].

Les premiers essais missionnaires au Viêt-nam dont les sources occidentales aient gardé la trace remontent à la fin du xvie siècle. Dans le cadre de leur stratégie missionnaire, les Jésuites cherchèrent à se réserver le monopole de la mission en Chine et au Japon; mais ils encouragèrent à diverses reprises les autres Ordres à prendre l’initiative en direction des « petites nations ». C’est ainsi que vit le jour, en 1583, une première expédition de Franciscains espagnols en Cochinchine. Ce fut un échec total [23]. L’année suivante eut lieu un deuxième voyage missionnaire; Bartolomé Ruiz, qui avait été du voyage précédent, réussit à se maintenir seul dans la région de Đà Nẵng (Tourane) pendant près de deux ans, mais sans plus de succès [24]. Suite à un arbitrage royal de Philippe II d’Espagne, deux Franciscains portugais prirent la relève, mais ne purent se maintenir que six mois [25]. Au tournant du siècle, les Ermites de S. Augustin portugais firent à leur tour deux essais d’implantation missionnaire [26] avec un succès plus que modeste, et abandonnèrent pour des motifs surtout logistiques [27]. Les chroniques des Franciscains et des Augustins laissent entrevoir qu’à cette occasion la rencontre entre les cultures a été plutôt un dialogue de sourds. Elle n’a pas produit de fruits tangibles dans le contexte vietnamien.

Dans l’histoire de l’expansion portugaise, l’éveil d’un réel intérêt pour le monde vietnamien est donc assez tardif. L’élément décisif fut la fermeture du Japon au commerce comme à la mission, durant les premières décennies du xviie siècle [28].

Au 17e siècle, le Viêt-nam s’auto-désigne comme « Đại Việt », nom à usage interne; l’appellation « An Nam » sert pour les relations avec la Chine et le monde extérieur. Sa frontière sud est située au nord de Nha Trang jusqu’en 1653. L’ensemble du pays maintient une unité nominale sous la dynastie restaurée des Lê. Mais en pratique, deux États rivaux se sont constitués de part et d’autre du fleuve Gianh, à hauteur du 18e parallèle; ils sont gouvernés par deux familles de seigneurs héréditaires, les Trịnh au Nord et les Nguyễn au Sud. La sécession est consommée en 1614, année ó l’État sudiste des Nguyễn renvoie les fonctionnaires nordistes. Ce dernier État, du fait qu’il occupait un territoire plus petit et plus pauvre, s’est alors plus résolument appuyé sur le commerce extérieur pour asseoir sa prospérité; il restera longtemps le partenaire privilégié des Portugais de Macao dans la région. Le terme portugais de « Cochinchine » (du nom malais et japonais du Việt-nam: « Kochi », avec l’ajout de « Chine » pour le distinguer de « Cochim », la ville de Cochin en Inde), appliqué à l’origine à l’ensemble du Đại Việt, se spécialise à la même époque pour désigner cette seigneurie Nguyễn. Le seigneur est couramment appelé « roi de Cochinchine » dans les sources, bien que les auteurs plus avertis rappellent qu’il ne s’agissait que d’un « alevantado », c’est-à-dire un vassal rebelle du vrai roi qui règne au Nord. Quant à la seigneurie nordiste des Trịnh, les Portugais l’appellent royaume du « Tunquim » (Tonkin), expression chinoise qui veut dire « capitale orientale » et désigne proprement Thăng Long, l’actuelle Hà Nội, siège des Lê et des Trịnh [29].

Vers 1616, à l’invitation de l’État vietnamien de Cochinchine, divers projets d’implanta­tion d’une « colonie » portugaise ont vu le jour[30]; ils furent soutenus par le vice-roi Jerónimo de Azevedo et la couronne [31]. Le désaveu résolu des vice-rois João Coutinho et Francisco da Gama fit capoter ce projet [32], sauf dans ses aspects proprement religieux. Si l’intérêt officiel de l’État portugais pour le Viêt-nam s’est alors assez vite remis en veilleuse, une collaboration commerciale régulière s’établit cependant entre la ville de Macao et les deux États vietnamiens. Elle se maintint, avec des succès inégaux, pendant deux siècles. Les aspects politiques et commerciaux mentionnés ont déjà fait l’objet de plusieurs études remarquables, notamment de la part de Pierre-Yves Manguin [33] et de George Bryan Souza [34], sans oublier les nombreuses publications de Manuel Teixeira [35]. Nous n’y reviendrons pas.

Dans le domaine religieux, la mission du Viêt-nam fut fondée définitivement par la Province Jésuite du Japon, en lien avec les évêchés portugais de Malacca et de Macao [36]: ce fut en 1615 dans l’État de Cochinchine [37], en 1627 dans celui du Tonkin [38]. La Province du Japon de la Compagnie de Jésus était d’obédience strictement portugaise et financée par le Portugal dans le cadre du patronat royal. Son personnel était en majorité portugais mais comportait dès le début une forte présence italienne; les Japonais y furent admis, mais seulement dans des positions subalternes, à partir de la fin du xvie siècle. Elle avait étendu son territoire de compétence peu à peu vers la Chine (plus tard vice-province autonome), et fixé son siège à Macao. À l’époque qui nous intéresse, elle cherchait à s’étendre vers l’Indochine et l’Insulinde, suivant les routes de navigation partant de Macao. Les Jésuites rendaient généralement peu de comptes aux évêchés, théoriquement chargés de coordonner la mission.

Les deux fondations portugaises et jésuites en Cochinchine et au Tonkin eurent un succès remarquable, posant des bases solides pour la chrétienté vietnamienne. En 1658, au moment ó le Saint-Siège, qui ne reconnaissait pas la Restauration de la couronne portugaise[39], décida de reprendre en main ces missions [40], près de 70 missionnaires de huit nationalités s’y étaient succédés, dont 35 Portugais, 19 Italiens et 7 Japonais [41].

Les deux couronnes espagnole et portugaise étaient restées unies de 1580 à 1640; mais cette union personnelle n’entraýna pas la fusion des gouvernements, ni des administrations, ni des possessions d’Outre-Mer ó les intérêts restèrent parfois opposés. Sous le règne de Philippe IV d’Espagne (à partir de 1621), il fut de plus en plus évident que l’État portugais était mal gouverné, et avait tout à perdre de l’union personnelle, y compris en Extrême-Orient. Un coup d’état mit sur le trône portugais Jean IV de Bragance (1640-1656). Le Saint-Siège, pour sa part, continua à considérer Philippe IV comme roi légitime du Portugal jusqu’à sa mort (1665). Par contre, le Portugal ainsi restauré réussit à mettre la France dans son camp (traités de 1641 et de 1655), ce qui ouvrit la voie après 1655 à la venue de missionnaires français dans les territoires de mission d’obédience portugaise. Ce fut chose faite dès 1658.

À la même date, selon les estimations les moins optimistes, les chrétiens vietnamiens étaient déjà plus de 100 000 [42], répartis en plusieurs centaines de communautés locales [43]. Ils étaient encadrés par des laðcs vietnamiens solidement formés [44], capables de faire face aux situations les plus difficiles; ils avaient eu dès 1644-1645 leurs martyrs, parmi lesquels le plus éminent est le jeune catéchiste André, qui fut le premier d’une très longue liste, et dont Macao avait gardé le souvenir [45]. Un tel succès est d’autant plus étonnant qu’il a été obtenu en dehors de toute présence militaire et de toute démonstration de force. Dans le même temps, la glorieuse chrétienté du Japon était virtuellement anéantie, celle de Chine était en difficulté; le Siam comptait à peine 200 fidèles, Macassar une poignée [46]. Pour toute l’Asie, mises à part les enclaves de Goa et de Macao, c’est au Viêt-nam et à Sri Lanka que la continuité historique entre la mission portugaise et les Églises chrétiennes modernes est la plus visible et la plus tangible aujourd’hui.

 

2. La mission jésuite au Viêt-nam et la langue vietnamienne

 

L’essor de la mission s’est accompagné, au Viêt-nam comme ailleurs, de réalisations de tout premier ordre dans le domaine culturel. En 1615, les Jésuites de la Province du Japon, en inaugurant la mission vietnamienne, avaient une expérience de plus de vingt ans de recherches et de créations linguistiques du côté de la langue japonaise [47]. Cela fut d’autant plus fructueux que, face au chinois, le vietnamien et le japonais occupent une position symétrique, et que ces deux langues subissaient le même type d’influence à travers la langue des caractères [48].

Les premières traductions en vietnamien de textes religieux chrétiens datent de 1618, et sont dues pour l’essentiel à Francisco de Pina. Jésuite natif du Portugal [49], celui-ci avait terminé ses études au collège de Macao, ó le grand grammairien de la langue japonaise João Rodrigues ‘Tçuzzu’ était présent depuis 1610 [50]. Pour son travail, Pina reçut l’aide efficace d’un jeune lettré vietnamien baptisé sous le nom de Pêro [Phêrô], dont les bonnes connaissances en chinois durent être fort utiles en la circonstance. Ces faits ressortent d’un rapport officiel de la mission: « Cet homme [un lettré ami de la mission] a un fils de seize ans, le plus vif et le plus intelligent du lieu, et le meilleur écrivain de lettres chinoises, un art très estimé chez eux... Ce jeune homme, baptisé sous le nom de Pierre, est grâce à sa connaissance des lettres d’un grand secours pour le Père, pour traduire dans la langue du pays le Pater noster, l’Ave Maria, le Credo et le décalogue, que les Chrétiens ont déjà appris par cœur. Le Père a composé également dans cette langue les articles de foi; on y déclare de façon suffisante qu’il y a un seul Dieu, les mystères de la Sainte Trinité, de l’Incarnation et de la Rédemption, et la nécessité ó nous sommes d’avoir part aux mérites du Christ, notre Seigneur, par le moyen de la foi et des saints sacrements. Les Chrétiens mettent tout par écrit, et commencent déjà à réciter le rosaire comme chez nous » [51]. Selon l’usage des rapports annuels des Jésuites, « le Père », auteur des travaux en question, n’est pas expressément nommé. Trois Jésuites étaient alors présents à la mission de Pulo Cambi (correspondant approximativement à l’actuel Quy Nhơn) ó se situe l’épisode: Buzomi, atteint d’une « grave maladie, qui fut cause qu’il ne put s’occuper de la conversion de ces gens » [52], Pina, et Borri, nouvel arrivant qui commençait à peine à étudier la langue. Nous comprenons que les travaux ont été faits sous la supervision de Buzomi, ancien supérieur de la mission de Cochinchine (1615-1618) et supérieur local, mais que les artisans principaux en ont été Pina et le jeune collaborateur vietnamien. Selon sa propre affirmation, Pina avait achevé dès 1622 la mise au point d’un système de transcription alphabétique adapté à la phonétique et aux tons de la langue vietnamienne. Il avait collecté un florilège de morceaux choisis et commencé à rédiger une grammaire. Ce résultat, il l’avait acquis en travaillant sans ménager sa peine, aidé seulement par l’un ou l’autre des écoliers vietnamiens regroupés autour de lui [53].

L’historien jésuite Bartoli, pour sa part, attribue à Buzomi la création d’une grammaire et d’un vocabulaire [54]. Il s’appuie, entre autres, sur une lettre de 1622 que nous n’avons pu retrouver. Il n’est pas impossible qu’il y ait en l’occurrence une confusion avec Pina. D’une façon plus générale, les affirmations de Bartoli concernant les excellentes connaissances linguistiques de son compatriote Buzomi ne sont pas corroborées par les documents d’archives que nous avons pu consulter. Il faut noter par ailleurs que Bartoli, qui semble ignorer les créations linguistiques de Pina, reconnaýt cependant ses compétences. En guise d’oraison funèbre après le récit de la mort du missionnaire portugais, survenue le 15 décembre 1625, il écrit: « Le Père Pina était Portugais de nation, âgé de quarante ans. Il était cher également aux paðens, parce qu’il parlait leur langue comme s’il était Cochinchinois de naissance » [55].

En 1624, Francisco de Pina ouvrit la première école de langue vietnamienne pour étrangers [56], avec pour élèves deux hommes de fort tempérament: le Portugais António de Fontes [57], un vétéran qui sera un des piliers de la mission de Cochinchine; et Alexandre de Rhodes, que nous avons déjà présenté. Ce dernier sera bientôt appelé à fonder la mission du Tonkin, ó il se dépensera de 1627 à 1630.

Le 15.12.1625, un vaisseau portugais jetait l’ancre en baie de Đà Nẵng, n’accostant pas à cause des risques de tempête. Une barque partit du port à sa rencontre. Pina y monta pour rapporter à terre les denrées de première nécessité: vin et farine pour la célébration de la messe. Au retour, une bourrasque fit chavirer la barque; empêtré dans sa soutane, Pina mourut noyé, alors que le reste de l’équipage fut sauvé. Ce fut un grand deuil pour la population locale comme pour la mission; un décret d’expulsion des missionnaires fut suspendu pour permettre de célébrer trois mois de deuil, puis finalement rapporté [58].

Il serait erroné de croire qu’après cette mort tragique les missionnaires portugais aient diminué leur investissement linguistique. Le travail de pionniers s’est alors poursuivi pendant au moins deux décennies. L’effort a porté avant tout sur la création d’un vocabulaire chrétien et sur la rédaction des premiers éléments de la littérature chrétienne [59]. Le rôle joué par les lettrés chrétiens vietnamiens a été considérable; l’un ou l’autre de leurs noms mériteraient d’être tirés de l’oubli [60].

Parallèlement, l’analyse grammaticale et phonétique de la langue vietnamienne fut poursuivie de façon systématique, permettant de mettre peu à peu au point l’écri­ture romanisée dite quốc ngữ. C’est là une œuvre collective ó il est difficile de discerner la part revenant à chacun. Mais il est certain qu’Alexandre de Rhodes s’en est trouvé très vite écarté du fait de son exil à Macao de 1630 à 1640: il y exerçait son ministère en milieu chinois, même s’il continuait à se tenir au courant des progrès faits au Viêt-nam [61]. Lui-même nous a livré dans la préface du dictionnaire [62] le nom des deux plus éminents lexicologues: les Portugais Gaspar do Amaral [63] et António Barbosa [64].

Dans cette œuvre créatrice originale des Jésuites portugais au Viêt-nam, l’étape de la maturité est marqué par une consulta, un débat contradictoire organisé à Macao en 1645 pour discuter d’une question controversée de terminologie chrétienne en vietnamien [65]. Les archives nous ont conservé le nom des experts qui ont dominé les débats: à côté d’Amaral, désigné comme peritissimus (premier expert), et de Barbosa, on trouve Baltazar Caldeira, natif de Macao, ainsi que Manuel Pacheco et Pêro Alberto, tous deux natifs du Portugal. En face, soutenant une position opposée, Alexandre de Rhodes se retrouva seul; son opinion fut rejetée. Malgré l’appui passionné apporté ultérieurement à sa position par un jeune Jésuite sicilien, Metello Saccano [66], la décision fut maintenue.

La question, en effet, ne fut pas terminée par l’assemblée de 1645. Portée à Rome à l’initiative d’Alexandre de Rhodes, elle y fut examinée dans les années 1650 devant Propaganda Fide puis devant le Saint-Office [67]. Il existe une lettre fort curieuse du Jésuite italien Giovanni Filippo Marini à ses supérieurs romains au sujet de cette affaire, datée de 1655 [68]. Non sans une pointe de polémique, l’auteur y met fortement en doute la compétence de Rhodes en matière de linguistique vietnamienne. On notera qu’il tend à le disqualifier du fait qu’il pratique plutôt le parler de Cochinchine, « béotien » par rapport à la langue standard de la capitale; c’est aussi ce parler sudiste que l’orthographe du Dictionnaire semble représenter dans certains cas. Mais le fond de la question n’est pas là: elle portait sur le sens exact de la locution sino-vietnamienne (sans connotation dialectale) « Nhin danh [Cha...] »: « Au nom de [du Père...] ». Celle-ci pouvait être théologiquement ambigueš faute d’un marqueur du nombre grammatical singulier. Rhodes en exigeait l’adjonction, de peur que l’on imagine trois noms, et donc trois forces surnaturelles distinctes; dans ce cas, on aurait été hors du dogme chrétien, et il aurait fallu envisager de rebaptiser tous les Chrétiens.

Il faut noter que la formulation retenue en 1645 par les experts de la consulta, tous portugais, reste aujourd’hui en usage dans l’Église vietnamienne.

 

3. Les Portugais en Extrême-Orient: réputation et préjugés historiques

 

On peut se demander pourquoi l’histoire a si peu retenu ces faits, au point de traiter parfois la présence et l’action des missionnaires portugais au Viêt-nam comme quantité négligeable. L’image internationale du Portugal est certes aujourd’hui bien dévalorisée: autrefois puissance de rang mondial, ce pays en vient presque à faire figure de Cendrillon de l’Europe occidentale. Bien plus anciennement, il y eut déjà un parti pris anti-portugais, dont la réalité est solidement documentée. On nous permettra d’en donner deux exemples.

En 1653, le Jésuite italien Daniello Bartoli présentait à la censure de la Compagnie un gros volume consacré à l’histoire de l’évangélisation en Chine, qui sera aussi le premier grand classique de la mission au Viêt-nam [69]; deux censeurs sur trois lui ont alors reproché son parti pris anti-portugais [70]. On trouve une réaction analogue dans les minutes des lettres de Goswin Nickel, Préposé général des Jésuites, adressées entre 1655 et 1662 à des Jésuites italiens et français du Viêt-nam et d’Extrême-Orient. Il s’y montre choqué par les attaques systématiques de ses correspondants contre les Portugais, leurs méthodes et leurs réalisations: vous avez le droit de dénoncer les fautes de telle ou telle personne, leur dit-il en substance, mais il est inadmissible de jeter globalement le discrédit sur une nation [71].

De ces deux faits, il faut rapprocher deux autres données historiques bien connues. Les missionnaires de Paris et les vicaires apostoliques envoyés par le Saint-Siège au Viêt-nam à partir de 1659 [72] ne purent asseoir leur autorité dans ce pays qu’au prix d’une lutte longue et dure contre les Jésuites: ces derniers s’opposèrent à eux au nom d’une fidélité presque sans faille au patronat de la couronne portugaise [73]. Il nous semble que, dans le feu de la polémique et par la suite, beaucoup de jugements injustes ont été émis: il était tentant d’invoquer l’incompétence juridique ou l’impéritie des premiers arrivés, ou d’exagérer leurs déficiences, pour justifier l’intervention autoritaire des nouveaux venus. Nous avons évoqué plus haut, enfin, le rôle particulier joué par la France au Viêt-nam deux siècles plus tard: en cherchant les lointains précédents de son ‘épopée’, ó se mêlaient évangélisation, conquête militaire et colonisation, on a cru en trouver l’origine en 1624, date de l’arrivée au Viêt-nam d’Alexandre de Rhodes, sorte de signe de prédestination du rôle que la France et les Français étaient appelés à jouer dans ce pays [74].

C’est cet ensemble de faits qui explique en partie, nous semble-t-il, que le rôle culturel capital joué par le Portugal au Viêt-nam à travers ses missionnaires jésuites du xviie siècle ait été si souvent ignoré, minimisé, voire occulté, dans la littérature spécialisée [75]. La majeure partie de celle-ci a d’ailleurs été publiée dans la sphère culturelle française [76]: on y a mis volontiers en relief, de façon parfois anachronique, une présence et une influence françaises [77]. Quant aux chercheurs vietnamiens, ils ont été jusqu’ici et presque inévitablement handicapés par leur ignorance assez générale de la langue portugaise, restant largement tributaires de ce qui a été publié en langue française [78]. En 1990, un congrès scientifique international sur la ville de H¹i An (Faðfô) a eu lieu à Đà Nẵng (Tourane). On ne s’étonnera guère, vu le contexte décrit ci-dessus, que non seulement l’ancienne puissance coloniale en ait été tenue à l’écart, mais que le Portugal y ait été oublié, tandis que l’on faisait la part belle à la Hollande [79].

Pour les Vietnamiens d’aujourd’hui, la question de la rencontre des cultures entre le Viêt-nam et l’Occident garde de forts accents polémiques, comme nous nous en sommes rendu compte à nos propres dépens [80].

 

4. Comment renouveler le débat historique?

 

La même année 1645 ó fut organisé à Macao le débat linguistique contradictoire mentionné plus haut, Alexandre de Rhodes fut chargé par son supérieur hiérarchique Manuel de Azevedo d’une mission à Rome [81]. Nous n’aborderons pas ici les aspects diplomatiques du voyage, ni les conséquences qu’il eut pour les missions catholiques en Extrême-Orient [82]: ces conséquences furent douloureuses pour le Portugal sans que l’on puisse en faire grief à Rhodes [83]. Nous en retiendrons plutôt un succès incontestable et incontesté: la publication à Rome du dictionnaire et du catéchisme que le missionnaire apportait dans ses bagages, en même temps que celle de divers ouvrages historiques sur la mission du Viêt-nam. C’est sur la base de ces publications que la personne d’Alexandre de Rhodes a commencé à prendre une dimension légendaire, devenue désormais quasi mythique tant pour l’histoire des missions au Viêt-nam que pour l’histoire de la langue vietnamienne [84]. Il nous semble que l’on fait ainsi tort à l’histoire. Rhodes fut, sans conteste possible, un grand missionnaire, mais non un surhomme: il est urgent de redonner à l’homme sa véritable consistance humaine, et de replacer l’œuvre dans son contexte authentique. Outre les enjeux de cette démarche pour la linguistique vietnamienne, sur lesquels nous reviendrons, qu’il nous soit permis d’évoquer ici un autre enjeu.

Le christianisme du Viêt-nam, quoiqu’il soit bien implantée depuis trois siècles et demi, forme une minorité contestée, qui a souffert et continue à souffrir d’ostracisme. Le discours de ses nombreux détracteurs lui fait grief d’être arrivé dans les bagages des colonialistes français, dont Alexandre de Rhodes serait le précurseur [85]. La toute récente réhabilitation de Rhodes dans les milieux officiels n’est pas venue à bout de cette légende noire, particulièrement dans l’émigration vietnamienne [86]. Rétablir la vérité historique sur les origines de la communauté catholique du Viêt-nam permettra de mettre en évidence des réalités toutes différentes: c’est dans le cadre d’un dialogue et d’échanges mutuels, entièrement pacifiques, entre le monde portugais et le monde vietnamien que les missionnaires, hommes libres et sincères, ont su se faire entendre par une partie de la population. En profonde sympathie, ils avaient adopté la langue et les coutumes de leurs interlocuteurs; ceux-ci ont librement fait leur choix, et adhéré à cette foi nouvelle ainsi exprimée dans leurs propres mots. C’est bien dans ce cadre-là que Rhodes, sujet du Pape, a exercé son ministère au même titre que ses confrères portugais, italiens ou japonais.

Retrouver la vérité historique, derrière ce mythe qui domine la vision française des choses, est une entreprise particulièrement ardue et ingrate. Pour ce faire, l’histo­rien de la mission au Viêt-nam dispose pourtant de sources documentaires abondantes. Il ne s’agit pas tant des documents officiels, qu’ils soient politiques ou économiques: ceux-ci sont déjà bien connus, et ont été en bonne partie publiés et exploités. Mais il n’y a jamais eu de véritable colonie portugaise au Viêt-nam et les échanges politiques ont été peu nombreux: l’unique traité est l’éphémère convention luso-vietnamienne de 1786 [87]. Ce type de documents permet surtout de bien préciser le contexte socio-économique de la mission, non pas son contenu.

L’essentiel des sources se compose de manuscrits d’origine religieuse majoritairement inédits. De façon générale, on notera que les inédits sont préférables aux versions publiées, lorsqu’elles existent, car ces dernières visaient surtout l’édification des pieuses âmes d’Eu­rope [88] et ont pu être déformées dans ce but. Les manuscrits, notamment les rapports officiels et la correspondance privée des Jésuites, se trouvent en grande partie conservés à Lisbonne, à Madrid et surtout à Rome, dispersés dans plusieurs collections [89]. Ils sont rédigés en portugais, moins souvent en latin, et parfois en italien. C’est leur contenu qui permettra de reconstituer en détail la chronologie de la mission, et de rendre à chacun des acteurs de cette mission ce qui lui revient. Par le fait même, les progrès et les aléas de l’action linguistique et culturelle des Jésuites portugais au Viêt-nam seront mis plus clairement en lumière, avec les noms et les visages de ceux qui en ont été les promoteurs.

La publication et l’exploitation de ces sources est un chantier qui reste encore largement à ouvrir. Notre tâche prioritaire a été de faire l’indexation des documents issus du premier demi-siècle, celui au cours duquel s’est réalisé l’essentiel du travail créatif (1615-1664). Mais une mise en valeur complète sera une tâche collective de longue haleine, qui demandera entre autres de nouer des liens de coopération culturelle entre le monde portugais et le monde vietnamien. Il est indispensable qu’une future génération de chercheurs vietnamiens puisse participer de plain-pied à ce travail [90]. D’une part, en effet, ils pourront ne pas s’encombrer des querelles intra-européennes, qui ne les intéressent guère; d’autre part seul leur apport spéci­fique permettra d’étudier à fond les implications culturelles de ce qui a été accompli lors de la rencontre historique du xviie siècle.

 

5. Réexamen du dossier linguistique

 

Même après la récente publication de sources chinoises de linguistique historique vietnamienne [91], le dictionnaire et le catéchisme publiés à Rome en 1651 restent les deux ouvrages fondamentaux irremplaçables pour connaýtre l’état de la langue au xviie siècle, et son évolution. Mais le fait qu’ils ont été publiés sous le seul nom d’Alexandre de Rhodes a paru dispenser d’examiner à fond le dossier linguistique. Jusqu’à quel point en a-t-il été personnellement l’auteur? Dans quelle mesure a-t-il repris, comme compilateur ou rédacteur du texte final, les travaux de ses prédécesseurs? Il est sans doute impossible de répondre de façon exhaustive à ces questions; mais elles doivent être posées, et examinées sérieusement à l’aide de tous les témoins écrits disponibles.

En effet, la notion de propriété littéraire chez les Jésuites du xviie siècle n’était pas exactement la nôtre; nous en donnerons deux exemples. On voit le récit du martyre du catéchiste André, dont l’original portugais est indubitablement de la plume même de Rhodes, repris parfois mot à mot sous les noms de Matias da Maia [92], d’An­tónio Francisco Cardim [93] ou de Manuel Ferreira [94]. Réciproquement, Rhodes a publié sous son propre nom un récit concernant les martyrs du Japon, globalement repris des chroniques jésuites [95]. Ainsi, quand on décidait d’éditer ou de rééditer un texte bon à diffuser, celui qui avait le mérite de se charger de ce travail y mettait son nom, et en prenait ainsi personnellement la responsabilité. Dans le cas de Rhodes et des martyrs du Japon, il s’agissait sans doute aussi de profiter de la célébrité naissante de l’Avignonnais pour une meilleure diffusion du livre.

Le fait que le nom de Rhodes se trouve en couverture d’un ouvrage ne prouve donc nécessairement pas qu’il en soit le seul « auteur », ni même le rédacteur principal. S’agis­sant des deux ouvrages écrits en langue vietnamienne publiés par la congrégation romaine de Propaganda Fide, il n’était évidemment pas question de promouvoir une vente au public: l’unique but était le service de l’œuvre missionnaire. Mais du fait que Rhodes était la seule personne à Rome à connaýtre la langue utilisée, c’est lui qui devait nécessairement se porter personnellement garant de ces ouvrages, en prendre la responsabilité ultime devant ses supérieurs et le Saint-Siège; ceux qui auraient pu le faire à sa place, ou conjointement avec lui, étaient au bout du monde. Et c’est bien ce type de responsabilité que Rhodes a prise, nous semble-t-il, sans revendiquer une paternité littéraire au sens précis ó nous l’entendons.

Pour le catéchisme, il faut peut-être lui laisser la paternité de la rédaction finale du texte imprimé, et certainement la version latine qui lui fut expressément demandée. Mais Rhodes a bien noté qu’il s’agit en l’occurrence de « la méthode que nous tenons pour proposer nos mystères aux Paðens » [96]: il se situe explicitement à l’intérieur d’une œuvre collective.

Nous interprétons le terme « méthode » comme incluant des documents écrits. L’existence de textes catéchétiques, au moins similaires à celui de Rhodes et écrits en écriture alphabétique et en écriture syllabique ‘nôm’, est en effet attestée par un texte du Jésuite Metello Saccano, écrit juste avant la publication du Catechismus: « ... ie luy leu nostre Catéchisme dressé expressément pour l’instruction de ces peuples, ó nos mystères sont clairement exposés, et les resveries de leurs sectes efficacement refutées, tout l’ouvrage estant partagé comme en huict prédications pour autant de jours » [97]. Le missionnaire semble donc posséder un exemplaire écrit en quốc ngữ à son propre usage, et un autre en nôm à l’usage des Vietnamiens.

Pour ce qui est du dictionnaire, il faut faire un constat analogue. Dans son avis au lecteur, Rhodes note expressément qu’il a travaillé sur la base d’un dictionnaire vietnamien-portugais composé par Gaspar do Amaral, et d’un dictionnaire portugais-vietnamien duâ à António Barbosa. Si l’on n’a jamais retrouvé de manuscrits des deux ouvrages précurseurs, c’est à notre avis tout simplement que le dictionnaire imprimé de Rhodes en avait intégré toute la substance, rendant sans objet leur conservation. Il faut, certes, saluer au passage les qualités de management de l’Avignonnais, le seul qui ait su mener à son terme, malgré les difficultés que l’on imagine, cette œuvre d’édition. Ses prédécesseurs, morts prématurément, n’ont pas pu le faire.

Pour le nôm, le Viêt-nam se servait de la technique d’impression par xylogravure. La mission jésuite s’est servie de cette technique au moins au Tonkin, dans la période ó elle jouissait d’une liberté suffisante [98]. Mais la technique n’avait pas été adaptée à l’alphabet latin, et surtout la liberté des missionnaires, dans un domaine aussi sensible, avait été restreinte.

La province du Japon des Jésuites avait fait fonctionner une presse d’imprimerie à caractères mobiles à Macao, puis au Japon et à nouveau à Macao entre 1588 et 1620 [99]. Pour des raisons obscures, cette presse avait ensuite été abandonnée ou vendue à Manille, de sorte qu’elle n’a malheureusement pas pu être mise au service du quốc ngữ, comme elle l’avait été pour le japonais (alphabet romanisé et caractères hiragana). L’alternative était de faire imprimer à Lisbonne. Mais, à cette période, c’était une entreprise plutôt délicate, longue et couâteuse. Un inquisiteur portugais contemporain écrit: « The vigilance [of the Inquisition] in ferreting out suspect doctrines is incredible; and it always was thus in this kingdom [of Portugal], where manuscripts have to be revised so often and approved by so many censors with such rigour, that this is one of the reasons why so few books are published here... » [100].

Ce sont peut-être ces raisons qui ont amené Alexandre de Rhodes, ou ses supérieurs, à recourir à une solution romaine pour fournir à la mission du Viêt-nam les ouvrages de base dont elle avait le besoin le plus urgent.

Pour le dictionnaire comme pour le catéchisme, Rhodes a ajouté une traduction latine à la partie vietnamien-portugais. Il a remplacé le lexique portugais-vietnamien par un bref répertoire latin-vietnamien vraisemblablement de son cru. En outre, le dictionnaire inclut une brève description phonétique et grammaticale de la langue vietnamienne: une étude approfondie de ce texte, et d’un texte contemporain différent mais analogue, nous a de même amené à postuler une source portugaise commune, elle aussi perdue parce que la parution de l’ouvrage imprimé la rendait sans objet.

Seule la publication et l’analyse méthodique des sources permettra de corroborer définitivement, ou d’infirmer, cette hypothèse et les autres conclusions provisoires auxquelles nous sommes parvenu sur la genèse du quốc ngữ. Nous avons déjà entrepris de montrer [101], en effet, que c’est la phonétique portugaise qui a servi au xviie siècle, de préférence à toute autre et avec un succès remarquable, d’instrument d’analyse pour la phonétique vietnamienne dans le cadre de la création du nouveau système alphabétique. Ce sont les grammairiens portugais qui ont apporté l’essentiel des outils conceptuels, et les travaux faits par d’autres Jésuites portugais sur la langue japonaise ont fourni la méthode. Ignorer ces faits, c’est s’exposer à des tâtonnements inutiles. Les meilleures études faites sur l’histoire du vietnamien et de sa transcription romanisée, notamment celles d’André-Georges Haudricourt [102], Kenneth Gregerson [103] ou Hoàng Thị Châu [104], à qui nous devons beaucoup, n’ont pu qu’entrevoir confusément ce rôle tout particulier joué par le portugais à l’origine du quốc ngữ. Pour les linguistes, il y a là un chantier à poursuivre, pour lequel une collaboration multilatérale entre spécialistes du portugais et du vietnamien nous semble indispensable.

 

6. De Francisco de Pina au troisième millénaire:
à quoi sert une écriture romanisée?

 

Contrairement à une idée reçue, le véhicule choisi par les Jésuites d’obédience portugaise pour la diffusion du christianisme auprès des Vietnamiens n’était pas l’écriture romanisée. Sur ce point aussi, chez les Européens, la parution du catéchisme et du dictionnaire a fait illusion. Les missionnaires sur place ont fait le choix du nôm, c’est-à-dire de l’ancienne écriture vietnamienne adaptée des caractères chinois [105]. Le nôm avait l’avantage d’être relativement bien connu de l’élite vietnamienne – les lettrés –, et l’inconvénient d’être pratiquement inaccessible à la grande majorité des missionnaires. Mais l’enjeu qui a entraýné la décision était celui de ne pas couper la communauté chrétienne naissante de l’enracinement traditionnel du Viêt-nam dans la culture d’expression chinoise, ce qui aurait été diamétralement opposé aux principes et aux méthodes des Jésuites portugais.

La culture vietnamienne a deux sources principales, qui sont entre elles en rapports dialectiques: d’une part ses propres traditions ethniques et la base de sa langue, qui n’appartient pas au groupe chinois; d’autre part la culture chinoise, véhiculée par la langue dans sa forme écrite et à travers des empunts très nombreux. Le nôm occupe une place particulière dans ce contexte, à la charnière des deux domaines. Ces caractères syllabiques sont dérivés des caractères chinois et participent de leur très grand prestige; mais ils expriment les mots proprements vietnamiens, avec leur charge affective particulière: ils sont une véritable écriture nationale. Ils permettent enfin d’emprunter directement et librement au fonds chinois, de sorte qu’il se produit une osmose constante. Le quốc ngữ n’a jamais atteint la même charge symbolique.

Cette question est passablement embrouillée du fait que plusieurs auteurs occidentaux confondent la question de la langue et celle de l’écriture [106]. En fait, les Jésuites ont eu à choisir entre deux langues: au chinois (langue officielle, langue de l’enseignement et de l’élite lettrée), ils ont préféré le vietnamien (langue du peuple). Ils ont également adopté, dans les limites mentionnées, l’écriture traditionnelle (nôm) de cette dernière langue, tout en créant un alphabet latin adapté (quốc ngữ) en vue d’usages particuliers. L’incorpora­tion au vietnamien d’une phraséologie chinoise plus ou moins abondante n’est pas liée à l’écriture. Il faut affirmer en outre que cette politique linguistique est le bien commun des missionnaires; rien ne permet de dire qu’Alexandre de Rhodes aurait eu, en la matière, une position personnelle.

De toutes manières, nous nous inscrivons résolument en faux contre le jugement porté par l’historien du Viêt-nam Lê Thành Khôi: « L’invention [du quốc ngữ] procédait en premier lieu d’un but de propagande religieuse. Le grand obstacle à la diffusion du christianisme provenait en effet de l’universelle éducation confucéenne. Pour atteindre l’esprit des masses, les missionnaires devaient s’attaquer à la culture chinoise et aux idéogrammes qui la représentaient. Ils s’efforcèrent de donner à la population le moyen de se passer de l’écriture dominante et ils y parvinrent en imaginant ce système de transcription du vietnamien à l’aide de l’alphabet latin, accompagné de signes diacritiques pour rendre les différents tons. Les convertis qui utilisaient le quốc ngữ ne lisaient plus le chinois dans lequel étaient toujours rédigés les actes publics et la majeure partie de la littérature. On voit là la portée politique de l’événement qui contribua à faire pendant longtemps des catholiques vietnamiens un groupe séparé de la communauté nationale » [107]. Un tel jugement dénote une grave méconnaissance, entre autres, du travail culturel mené à bien par les mêmes Jésuites dans la mission de Chine, dans la ligne de Matteo Ricci (1552-1610). Il ne tient pas devant les faits, notamment l’importante production littéraire chrétienne en caractères nôm, commencée dès les premiers temps de la mission. À la mort de Jerónimo Mayorica en 1659, le supérieur qui lui rend un hommage posthume mentionne « la copieuse bibliothèque de 48 volumes qu’il a composés ou traduits dans la langue et dans l’écriture du pays » [108].  Jusqu’en plein vingtième siècle, sous le régime colonial français, les éditions catholiques du Viêt-nam proposent aux chrétiens de nombreux livres en nôm et en chinois [109].

Peu nombreux, d’ailleurs, étaient dans les débuts les chrétiens à qui les missionnaires pouvaient enseigner l’écriture alphabétique, celle-ci paraissant totalement étrangère.

Pourquoi alors Francisco de Pina et ses continuateurs ont-il dépensé tant d’éner­gie et de savoir-faire pour créer puis mettre au point l’écriture romanisée, le fameux quốc ngữ? Le fait est que celui-ci était destiné avant tout à l’instruction et à l’usage des missionnaires. Elle leur fournissait une interface fort commode avec la langue orale; en outre, elle leur offrait un moyen d’échange intellectuel et de communication écrite avec les principaux dirigeants vietnamiens de la communauté chrétienne, dont on exigeait dans ce but l’apprentissage de la nouvelle écriture [110]. Cette situation, caractérisée par une diffusion très restreinte du quốc ngữ, évoluera lentement à partir du milieu du xviiie siècle. Alors seulement, l’écriture alphabétique commencera à se répandre davantage dans la communauté chrétienne; ce sera pour des raisons de sécurité face à un régime inquisitorial [111], et peut-être aussi à cause de sa commodité d’emploi.

Cette nouvelle perspective entraýna comme conséquence inéluctable l’évolution progressive du quốc ngữ. Sa finalité principale première exigeait que soit privilégié l’aspect proprement phonétique, c’est-à-dire descriptif, pour faciliter aux étrangers débutants la prononciation la plus correcte possible. Une utilisation plus générale par des personnes ayant le vietnamien comme langue maternelle fit privilégier l’aspect phonologique [112], plus utilitaire.

Dans le cadre de cet article, on nous permettra de nous en tenir à un seul exemple. Dans la version du quốc ngữ dont est témoin le dictionnaire d’Alexandre de Rhodes, les consonnes nasales finales dorso-prépalatale, dorso-vélaire et labio-vélaire font l’objet de trois notations graphiques différentes, respectivement « nh » (par ex. « lành », « bon, doux »); « ng » (par ex. « làng », « village »), et un signe dénommé apex, dérivé du til (tilde) portugais « ~ », placé au-dessus de la voyelle (par ex. « làõ », aujourd’hui « lòng », « ventre, cœur »). Ces notations reflètent bien la prononciation standard de la région de Hà Nội, tel qu’un auditeur portugais attentif peut l’ana­lyser dans le système de notation auquel il est habitué. Dans la version fixée par le dictionnaire de Pigneau de Béhaine et Taberd [113], les deux derniers types sont notés uniformément « ng », du fait qu’il ne sont pas en opposition, leur apparition dépendant de la voyelle précédente (dans le jargon de la phonologie, ils sont en « distribution complémentaire »). La distinction entre les deux est donc superflue pour un locuteur vietnamien. La simplification aurait pu aller jusqu’au bout, en confondant les notations « nh » et « ng »: leur distinction est peu rentable pour le système vietnamien, voire sans utilité si l’on note différemment les voyelles / a / et / „ /[114].

Il faut bien noter qu’il ne s’est nullement agi de corriger d’éventuelles erreurs de notation, mais d’en simplifier les règles [115]. Les changements furent d’ailleurs peu nombreux, si bien qu’un apprentissage de quelques minutes suffit aujourd’hui à un lecteur vietnamien pour entrer de plain-pied dans les textes en quốc ngữ écrits au xviie siècle.

Le nôm et le chinois étant au moins aussi inaccessibles à l’administration française qu’aux missionnaires, la colonisation s’intéressa d’emblée à l’écriture romanisée, puis lui donna un statut officiel, rendant son usage obligatoire pour tout acte administratif [116]. Ainsi, au début du xxe siècle, l’ancienne écriture alphabétique inspirée du portugais commença à se répandre hors de la communauté chrétienne. À peu près tout ce que le pays comptait de lettrés patriotes, et ils étaient nombreux, prétendit d’abord refuser cette nouveauté au nom de la tradition et de l’authenticité vietnamienne. Mais peu à peu, par souci d’efficacité, ils se résignèrent à apprendre l’écriture nouvelle et à s’en servir[117]. Il ne serait pas juste, cependant, d’attribuer le succès du quốc ngữ à la loi du plus fort. Il devenait évident pour tous qu’une simple résistance à ces nouveautés linguistiques ne menait à rien; l’avenir du pays exigeait une modernisation du corps social et l’accès des masses à l’éducation. Or le nôm était depuis toujours réservé à une minorité de lettrés, au mandarinat traditionnel; seul le quốc ngữ offrait le moyen efficace de sortir de cette situation et de promouvoir l’idéal entrevu [118]. Les dernières résistances cessèrent, semble-t-il, après le sérieux revers essuyé par les mouvements nationalistes en 1930; de ces événements qui furent douloureux pour la conscience nationale, les élites surent tirer les leçons.

Ces convictions devinrent communes à ceux qui eurent à penser le Viêt-nam post-colonial. Le nôm s’effaça jusqu’à disparaýtre complètement, tandis que l’écriture qui avait été celle des missionnaires et des Français devenait l’unique écriture de tout le monde au Viêt-nam: « l’écriture nationale ». Elle est désormais utilisée par tous, et elle a largement prouvé sa souplesse et son adaptation possible à tous les domaines du savoir humain [119] . C’est le quốc ngữ, en outre, qui a le plus contribué à maintenir l’unité de la langue, même au plus fort de la guerre civile: il a fait échec aux tendances séparatistes bien mieux que n’auraient pu le faire le nôm ou la nouvelle écriture plus strictement phonologique prônée par certains [120].

Comment ne pas admirer l’œuvre gigantesque accomplie par les pionniers de la mission au Viêt-nam? Les réalisations linguistiques des missionnaires jésuites venus du Portugal, ou envoyés par lui, ont été finalement si déterminantes pour l’avenir de la culture du Viêt-nam qu’il ne peut aujourd’hui se concevoir sans son écriture alphabétique. Certes, la stèle remise en honneur fin 1995 à la Bibliothèque nationale de Hà Nội rend hommage au seul Alexandre de Rhodes; c’est un signe que l’apport culturel spécifiquement portugais est encore méconnu, même dans le monde scientifique. Mais on peut voir aussi dans cette stèle une pierre d’attente, un premier jalon posé par le Viêt-nam pour renouer avec l’Occident le dialogue culturel sur le passé commun et sur l’avenir. Dans ce cadre, la France et la francophonie ont certainement un rôle à jouer; mais il serait dommageable qu’elles ne le fassent pas en collaboration avec d’autres partenaires occidentaux, dont l’expérience de l’Asie est plus ancienne, et qui n’ont pas le handicap d’un passé colonial encore douloureux pour la conscience nationale vietnamienne.

 


 


[1]      (a) Dictionnarium annamiticum, lusitanum et latinum, Rome, S.C. de Propaganda Fide, 1651; rééd. en fac-similé avec traduction en vietnamien moderne: Từ Điển Annam-Lusitan-Latinh, Hồ Chí Minh-Ville, Nhà xuất bản Khoa học Xã hội, 1991. – (b) Catechismus pro ijs, qui volunt suscipere Baptismum, in octo dies divisus. Phép giảng tám ngày..., Rome, S.C. de Propaganda Fide, [1651]; rééd. en fac-similé avec introduction de Nguyễn Khắc Xuyên, trad. en vietnamien moderne d’André Marillier et en français d’Henri Chappoulie, [Hồ Chí Minh-Ville], Tủ sách Đại kết, 1993.

[2]      Jean-Louis Taberd: Dictionnarium Annamitico-Latinum, Serampore [Inde], 1838.

[3]      Le décret introduisant le quốc ngữ dans les concours administratifs fut signé par le gouverneur Paul Doumer dès 1898; mais l’application du décret ne fut définitive qu’en 1909. En 1917, un édit impérial abolit l’enseignement traditionnel au profit d’un enseignement basé sur le quốc ngữ et le français. Voir Nguyễn Thị Chân Quỳnh, « Concours de mandarins », in La jaune et la rouge [Paris, École Polytechnique], no 525, 5.1997 (p. 31-37), p. 36-37.

[4]   Georges Taboulet, La geste française en Indochine: Histoire par les textes de la présence de la France en Indochine des origines à 1914, 2 tomes, Paris, Adrien Maisonneuve, 1955-1956: tome I, livre I, chap. I, p. 9-22.

[5]   Né, à ce que l’on prétend, d’un père marrane aragonais et d’une mère italienne, Rhodes aurait pratiqué l’espagnol, l’italien, voire l’hébreu (!), au foyer familial... Sur ces affirmations hasardeuses, voir la mise au point magistrale de Michel Barnouin: « La parenté vauclusienne d’Alexandre de Rhodes (1593-1660) », in Mémoires de l’Académie de Vaucluse [Avignon], 8e série, 4, 1995, p. 9-40; et la bibliographie citée.

[6]   Au moment ó nous écrivons, cette dernière affirmation reparaýt une fois de plus sous la plume de François Rideau, « Mes rapports avec la langue vietnamienne », in La jaune et la rouge [Paris, École Polytechnique], no 525, 5.1997, p. 25-30: p. 27.

[7]    Nous reviendrons plus loin sur quelques Franciscains espagnols qui s’égarèrent sur les côtes du Viêt-nam dès 1583-1584, mais disparurent sans guère laisser de traces et sans jamais avoir appris les rudiments de la langue locale.

[8]   André Georges Haudricourt, « Origine des particularités de l’alphabet vietnamien », in Bulletin « Dân Việt Nam » (École Française d’Extrême-Orient [= EFEO]) 3, 1949, p. 61-68. Haudricourt est, par ailleurs, auteur d’articles remarquables sur la langue vietnamienne et son histoire; entre autres: « Les consonnes préglottalisées en Indochine », in Bulletin de la Société de Linguistique de Paris 46, 1950, p. 172-182; « Les voyelles brèves du vietnamien », ibid. 48, 1952, p. 90-93; « La place du vietnamien dans les langues austroasiatiques », ibid. 49, 1953, p. 122-128; « De l’origine des tons du vietnamien », in Journal Asiatique 242, 1954, p. 69-83; etc.

[9]   Alexandre de Rhodes, Divers voyages et missions du P. Alexandre de Rhodes en la Chine, & autres Royaumes de l’Orient, Paris, Sébastien Mabre-Cramoisy et Gabriel Cramoisy, 1653; rééd. en fac-similé avec trad. vietnamienne par Hồng Nhuệ [pseudonyme de Nguyễn Khắc Xuyên], Hồ Chí Minh-Ville, Tủ sách Đại kết, 1994: 3e partie, p. 78-79).

[10]  Cette lecture semble avoir été induite, à son corps défendant, par John de Francis, Colonialism and Language Policy, La Haye, 1977. Voir aussi note 74.

[11] Cette En 1941, elle avait été placée dans un petit temple sur la rive du lac Hoàn Kiếm, face au Ngọc Sơn. Ce temple a été démoli pour faire place à un monument révolutionnaire. La plaque avait été gardée à titre utilitaire par un particulier. Comme on ne pouvait pas la remettre à l’ancien emplacement en 1995, on a choisi un lieu digne: la Bibliothèque Nationale, à quelques pas de là.

[12]  Voir « Let’s do Justice to Alexandre de Rhodes », in Vietnam Social Sciences (Hà Nội) 40, 2/1994, p. 88-89, d’après un article de Minh Hiền paru dans l’hebdomadaire Lao Động [Les Travailleurs] (Hà Nội) du 21.11.1993. Voir aussi le colloque scientifique organisé sur Alexandre de Rhodes à Hà Nội le 22 décembre 1995 par le Ministère de la Culture et le Centre national des Sciences sociales et humaines (Actes à paraýtre). L’intervention officielle à ce colloque de l’un des plus hauts personnages de l’État, le vice-premier ministre Nguyễn Khánh, a marqué le point d’orgue de la réhabilitation de Rhodes. Voir le texte de cette intervention: « A. de Rhodes, nhà hoạt động văn hoá có cống hiến cho sự phát triển ngôn ngữ và văn hoá Việt Nam » [A. de Rhodes, un initiateur d’activités culturelles qui a contribué au développement de la langue et de la culture du Viêt-nam], in Xưa và Nay [Autrefois et Aujourd’hui (Hà Nội), organe de l’Association des Sciences historiques du Viêt-nam], 1/1996, p. 19-20.

[13]  Nous illustrons notre propos en citant, parmi les publications récentes, deux ouvrages de haute tenue scientifique: – (1) Pierre-Richard Féray, Le Viêt-nam, Paris, P.U.F., 1984, à propos des influences culturelles européennes au 17e siècle, p. 18: « Tandis que les Trinh [Tonkin] sollicitèrent l’aide des Hollandais [...], les Nguyên firent appel aux Portugais, puis aux Français, n’hésitèrent pas à recevoir les missions jésuites au point que le P. Alexandre de Rhodes, de 1650 à 1660, eut l’idée de romaniser l’écriture. Le Quoc-ngu était né ». – (2) Josef Metzler, Die Synoden in Indochina: 1625-1934, [Les synodes en Indochine 1625-1934], Paderborn / Munich / Vienne / Zurich, Ferdinand Schošningh, 1984. À l’instar de la plupart de ses devanciers historiens des missions catholiques, l’auteur attribue à Rhodes l’essentiel du travail missionnaire; puis il précise, p. 7: « Durch seine sprachwissenschaftlichen Arbeiten [...] wurde er zum Begrušnder der Schriftsprache Vietnams und ihrer heute noch gebrauchten lateinischen Umschrift » (« Par ses travaux scientifiques, il [Rhodes] est devenu le père de la langue écrite du Viêt-nam et de sa transcription en caractères latins, toujours en usage aujourd’hui »).

[14]  Sur la question du patronat des souverains portugais sur les missions d’Orient, voir notamment notre ouvrage: Roland Jacques, De Castro Marim à Faðfo : Naissance et développement du padroado portugais d’Orient des origines à 1659, Lisbonne, Fundação Calouste Gulbenkian, Serviço de Educação, 1999. Voir en outre António da Silva Rego, Le Patronage portugais de l’Orient, aperçu historique, Lisbonne, Agência Geral do Ultramar, 1957; Adelhelm Jann, Die katholischen Missionen in Indien, China und Japan: Ihre Organisation und das portugiesische Patronat, vom 15. bis ins 18. Jahrhundert [Les missions catholiques en Inde, en Chine et au Japon. Leur organisation et le patronat portugais du xve au xviiie siècle], Paderborn, Ferdinand Schošningh, 1915.

[15]  Dans la seconde moitié du xvie siècle, l’Espagne s’installa progressivement et durablement aux Philippines. Mais toutes les tentatives espagnoles pour jeter une tête de pont sur le continent asiatique, et notamment en Indochine, seront vaines. Concernant ces tentatives, voir entre autres L.P. Briggs, « Missionnaires Portugais et Espagnols au Cambodge, 1555-1603 », in Bulletin de la Société des Études Indochinoises 25, 1950; A. Gallego, « Espanõa en Indochina, Expediciones religioso-militares », in Espanõa misionera, 7, 1951, p. 298-310; Benno Biermann, « Die Missionsversuche der Dominikaner in Kambodscha » [Les tentatives missionnaires des Dominicains au Cambodge], in Zeitschrift fušr Missionswissenschaft und Religionswissenschaft [Revue des Sciences missionnaires et religieuses (Mušnster)] 23, 1933, p. 108-132.

[16]  Date de la prise de Malacca par Afonso de Albuquerque. Voir Geneviève Bouchon, Albuquerque: Le lion des mers d’Asie, Paris, Desjonquères, 1992. La prise de Malacca ouvrait à la navigation portugaise, d’une part la route des ýles productrices d’épices en Insulinde, d’autre part celle de la Chine et du Japon.

[17] Voir notamment Pierre-Yves Manguin, Les Portugais sur les côtes du Viêt-nam et du Campa, Étude sur les routes maritimes et les relations commerciales, d’après les sources portugaises des xvie, xviie et xviiie siècles, Paris, EFEO, 1972; Roderich Ptak (ed.), Portuguese Asia: Aspects in History and Economic History (16th-17th centuries), Stuttgart, F. Steiner, 1987; Anthony Reid, Southeast Asia in the Age of Commerce (1450-1680), vol. I, The Lands below the Winds, New Haven et Londres, Yale University Press, 1988. Il est remarquable que dans sa Década XIII, qui traite de la période 1612-1617 ó les Jésuites ouvrirent la mission au Viêt-nam, le chroniqueur portugais officiel António Bocarro fasse une unique allusion à ce pays; encore n’y apparaýt-il qu’indirectement, à propos du Siam, en tant que producteur de la soie importée dans ce pays par les Anglais et les Hollandais. Voir Decada XIII da Historia da India composta por Antonio Bocarro chronista d’aquelle estado [...], éd. sous la dir. de Rodrigo José de Lima Felner, 2 tomes, Lisbonne, Academia Real das Sciencias, 1876: tome 1, p. 530.

[18]  Le Jésuite Francisco de Jasu y Javier [Xavier], 1506-1552, navarrais de naissance, réalisa sa célèbre mission en Asie à la fois comme nonce pontifical et comme légat du roi du Portugal. Voir Georg Schurhammer, Franz Xaver, Sein Leben und seine Zeit, 3 vol., Fribourg-en-Brisgau, Herder, 1955-1971; Francis Xavier: His life, his time, 4 vol., Rome, Institutum Historicum Societatis Iesu, 1973-1982. En français: Alexandre Brou, S. François-Xavier, 2 tomes, Paris, Beauchesne, 1922; ou, plus récemment: James Brodrick, Saint François Xavier (1506-1552), Paris, Spes, [1954], traduction de: Saint Francis Xavier, Londres, Burns Oates, [1952]. Sur le statut juridique de François Xavier, voir Joseph Wicki, « Der hl. Franz Xaver als Nuntius Apostolicus », in Studia Missionalia 3, 1947, p. 107-130.

[19]  On attribue parfois cette manière de concevoir la mission à Alessandro Valignano, grand organisateur des missions jésuites en Extrême-Orient (né en 1537 à Chieti, Valignano fut Visiteur des missions jésuites d’Orient à partir de 1573, puis à partir de 1583 provincial de la Province des Indes, qui comprenait encore tout l’Extrême-Orient. Mort à Macao en 1606). Mais l’origine en remonte à François Xavier lui-même. Le grand Jésuite navarrais avait fait personnellement l’expérience de l’influence chinoise au Japon, et des difficultés que les Japonais éprouvaient à délaisser les doctrines prestigieuses venues de la Chine pour adopter le christianisme. Dans une circulaire du 21.1.1552, il écrit: « Creyo que este anno de 52 irey laa onde estaa el-rey da China, porque hé terra, donde se pode muito acrecentar a ley de Noso Senhor Jesu Christo; e se ahy a recebesem, seria gramde ajuda pera em Japão desconffiarem das seitas, em que crem... » Nous traduisons: « Je crois que cette année même 1552 j’irai trouver le roi de la Chine; c’est en effet un pays ó la Loi de notre Seigneur Jésus Christ peut beaucoup s’accroýtre; et s’ils la reçoivent là-bas, ce sera une grande aide pour que le Japon perde la confiance qu’il a dans les doctrines religieuses auxquelles il croit ». À la même date, il écrit à Ignace de Loyola: « ...sabyendo los japones que a ley de Deos rescyben los chynas, an de perder más presto la fee que tyenen a sus setas. » Nous traduisons: « Si les Japonais apprennent que les Chinois reçoivent la Loi de Dieu, il leur sera certainement plus facile de perdre la foi qu’ils ont dans leurs doctrines religieuses. » (Epistolae S. Francisci Xaverii aliaque eius scripta [...], Georg Schurhammer et Joseph Wicki ed., t. II (1549-1552), Rome, Monumenta historica Societatis Iesu, 1945: p. 277 et p. 291-292).

     Près de trente ans plus tard, malgré les déboires et les désillusions essuyés en Chine, c’est le même point de vue qui prévaut. Voir par exemple lettre du Franciscain Pedro de Álfaro à son confrère Agustín de Tordesillas, datée de Macao le 20.11.1579: « Dice pues que lo de Cochinchina no es cossa que por agora cumple e que no es tanto como pensamos [...], mas lo que le parece segun Dios y aun a el Senõor Obispo, que tambien tiene grandes deseos de la conversion, es que primero se procure la conversion deste grande reyno y despues todo será facil... » Nous traduisons: « [Le Père Coutinho, supérieur des Jésuites de Macao] dit en effet que la Cochinchine, ce n’est pas à entreprendre maintenant, et qu’elle n’est pas aussi importante que nous le pensons [...]. Son avis, [donné] au nom de Dieu, et aussi l’avis de Mgr l’évêque [Belchior Carneiro, administrateur de l’évêché de Macao], qui a également de grands désirs de [faire des] conversions, c’est qu’il faut d’abord chercher à convertir ce grand royaume [de Chine] et ensuite tout sera facile... » (Sinica Franciscana, tome II: Relationes et epistolas Fratrum Minorum saeculi XVI et XVII, Anastasius van den Wyngaert ed., Quaracchi-Florence, Collegium S. Bonaventurae, 1933, p. 52 note 1).

     Le point de vue de Valignano est différent, mais pour le même résultat pratique en ce qui concerne le Viêt-nam. Pour lui, toutes les forces missionnaires des Jésuites doivent se concentrer sur le Japon, ó la mission obtient des résultats considérables. Envoyer du personnel ailleurs est une perte de temps et une regrettable dispersion des efforts: « La Compagnie doit travailler autant qu’elle peut, même aux dépens d’autres missions, pour mener à bien celle-ci... » (Sumario de las cosas que pertenecen a la Provincia de Jappón y al govierno della, chap. 6; voir la trad. française de J. Bésineau, Les Jésuites au Japon: relation missionnaire [1583], [Paris,] Desclée De Brouwer [1990], p. 113). Au moment des persécutions contre les chrétiens au Japon, l’unique alternative qu’il envisage pour le zèle missionnaire de la Compagnie est la Chine, ó il envoie Ruggieri et Ricci. Dans son idée, les autres Ordres religieux étaient libres d’aller dans les territoires ó les Jésuites n’étaient pas présents (op. cit., chap. 9, p. 133). Mais Augustins, Dominicains et Franciscains étaient eux aussi fascinés par la Chine et le Japon...

[20]  Lettre datée de Malacca du 29.11.1555, adressée au recteur du Collège St-Paul de Goa: traduction française dans Pierre-Yves Manguin, Les Portugais sur les côtes du Viêt-Nam et du Campa (cité note 17), p. 48-49. Le terme portugais « padrão » désigne une colonne de pierre portant les armoiries du Portugal, marquant une prise de possession symbolique au nom de la couronne portugaise. Le choix d’une implantation du padrão dans l’ýle de Cù Lao Chàm plutôt que sur la terre ferme souligne en l’occurrence l’aspect purement emblématique de la chose. En 1524, les Portugais avaient déjà appris douloureusement qu’il n’était pas question de substituer leur suzeraineté réelle à qui que ce soit en Mer de Chine, contrairement à ce qu’ils avaient fait dans l’Océan Indien jusqu’à Malacca. Voir Henri Cordier, « L’arrivée des Portugais en Chine », in T’oung Pao, 12, 1911, p. 485-543; ainsi que l’introduction de Charles Ralph Boxer (ed.) à son South China in the 16th century. Being the narratives of Galeote Pereira, Fr. Gaspar da Cruz, Fr. Martin de Rada, 1550-1575, Londres, Hakluyt Society, 1953; Nendeln/Liechtenstein, Kraus Reprints, 1967.

[21]  Voir Khâm định Việt sử thông giám cương mục [Texte et commentaire du miroir complet de l’histoire du Viêt nam, établi sur ordre impérial] (rédigé en 1859 sous la dir. de Phan Thanh Giản, publié en 1884): partie principale, vol. 33, planche 6b; original chinois reproduit in Bulletin de la Société des Études Indochinoises [BSEI], supplément au vol. 45/2-3, p. 10; trad. française et notes par Philippe Langlet in BSEI, vol. 45/2-3, p. 102. Le texte parle d’un étranger (littéralement « homme de l’Océan ») qui a pénétré clandestinement dans les cantons littoraux du delta du Fleuve Rouge. Le fait est cité en note, sur la foi des « chroniques non officielles » (dã lịch), mais sans référence précise. La nationalité n’est pas précisée, mais il est vraisemblable qu’il s’agisse d’un Portugais.

[22]  Gaspar da Cruz, portugais de naissance, est le premier missionnaire dominicain en Extrême-Orient. Voir son livre: Tractado em que se cõtam muito por extẽso as cousas da China, cõ suas particularidades, & assi do reyno dormuz. Cõpuesto por el R. padre frey Gaspar da Cruz da ordẽ de sam Domingos [...] (Évora, André de Burgos, 1569): p. 162 dans la traduction de Charles Ralph Boxer, South China in the 16th century. Being the narratives of Galeote Pereira, Fr. Gaspar da Cruz, Fr. Martin de Rada, 1550-1575, Londres, Hakluyt Society, 1953. L’affirmation de quelques historiens des missions sur une activité missionnaire de G. da Cruz au Viêt-nam est sans fondement.

[23] Voir « Relación inédita de Fray Diego de San José sobre la misión franciscana a Cochinchina y su paso por China (1583) », in Archivo Ibero-Americano [Madrid] 53, 1993, p. 459-487; ainsi que l’introduction de J. Ignacio Tellechea Idígoras: « Expedición franciscana a Cochinchina y China », ibid., p. 449-458.

[24] Voir Marcelo de Ribadeneyra, Historia de las Islas del Archipielago, y reinos de la Gran China, Tartaria, Cvchinchina, Malaca, Sian, Camboxa y Iappon, y de lo succedido en ellas a los religiosos Descalzos, de la Orden del Seraphico Padre San Francisco, de la Prouincia de San Gregorio de las Philippinas [...], Barcelone, Gabriel Graells y Giraldo Dotil, 1601: chap. 16. Cf. l’édition critique du texte par Juan R. de Legísima, Madrid, Editorial Católica, 1947, avec les notes et l’abondante bibliographie citée.

[25]  Voir: « Relação de como os Religiosos do Serafico São Francisco Capuchos que forão para o Reyno de Cochinchina com tensão de pregar nelle o Santo Evangelho; e do que lhes succedeo estando là, e de como se vieram »: Lisbonne, Biblioteca Nacional, codex 11098, fol. 347-349. Philippe II, qui cumulait depuis 1580 les couronnes espagnole et portugaise, avait demandé aux Espagnols de céder la place aux Portugais sur le continent asiatique.

[26]  Voir le manuscrit « Relação de como os Religiozos do gloriozo Dor S. Agosto forã ao Reyno da Cochinchina cõ tensã de lá pregarẽ o Sto Evango; e de como, e por que vierã de là »: Lisbonne, Arquivo Histórico Ultramarino: codex 1659, fol. 275-276v. Voir aussi Teófilo Aparicio López, La Orden de San Agustín en la India (1572-1622), Lisbonne, Centro de Estudos Históricos Ultramarinos, sans date [tiré-à-part de Studia  40, 6.1974 — 12.1978], p. 322-327.

[27]  Voir l’Itinerário de Sebastião Manrique (1639), éd. par Luís da Silveira, Lisbonne, 1946, chap. 45: « ... Como vbo varias transmigraciones en aquel Reyno, no pudo mi sagrada Religion sustentar aquella Mision por las grandes espesas que se offrecian, teniendo ella tan poco de lo temporal por aquellas partes, y ansi no se pudieron sustentar, ni se podrá hazer sin auer grande espesa como lo tienen bien experimentado los padres de la Companõia, los quales si no estubieren siempre dando donatiuos, y presentes, no tan solamente al Rey, y Principes, mas tambien a los principales mandarines, les sucediera lo que otras vezes... » Nous traduisons: « ... Du fait qu’il y a eu dans ce royaume plusieurs déplacements de population, et que mon saint Ordre n’a pas pu faire face aux besoins de cette mission à cause des fortes dépenses qu’il fallait envisager — [l’Ordre] possède en effet si peu de biens temporels dans ces régions-là —, on n’a donc pas pu maintenir [ces missions], et on ne pourra pas le faire sauf à engager de grandes dépenses; et c’est bien l’expérience qu’ont faite les Pères de la Compagnie [de Jésus]: si en effet ils n’avaient pas continuellement veillé à offrir des cadeaux et autres présents, et ce non seulement au roi et aux princes, mais aussi aux mandarins de haut rang, il leur serait arrivé ce qui est arrivé en d’autres occasions... ».

[28]  Parmi l’abondante littérature consacrée au sujet, il suffira de signaler Joseph Jennes, A history of the Catholic Church in Japan from its beginnings to the early Meiji Era. A short handbook, 2e éd., Tokyo, Oriens Institute for Religious Research, 1973; Kiichi Matsuda, The relations between Portugal and Japan, Lisbonne, Centro de Estudos Históricos Ultramarinos, 1965; Charles Ralph Boxer, The Christian century in Japan 1549-1650, Londres, Cambridge University Press / Berkeley, University of California Press, 1951; rééd.: [Londres], Carcanet, 1993. En français: Léon Pagès, Histoire de la religion chrétienne au Japon depuis 1598 jusqu’à 1651, 2 tomes, Paris, 1869-1870.

[29]  Les missionnaires connaissaient aussi les expressions vietnamiennes: « Đàng Trong » pour le Sud, « Đàng Ngoài » pour le Nord. Nous garderons cependant dans notre texte les expressions portugaises consacrées par l’usage. La division ultérieure du pays en trois entités territoriales désignées comme « Tonkin », « Annam » (terme appliqué alors restrictivement au Centre), et « Cochin­chine », est due à l’administration coloniale française; nous n’en tenons aucun compte ici.

[30] Il faut bien comprendrer qu’au-delà de Malacca, les Portugais n’ont jamais réalisé ni conçu de projet d’occupation de territoire. Dans le cas présent, ils étaient bien invités par le Chúa Nguyễn Phúc Nguyên (Chúa Sãi) à s’installer sur l’estuaire du fleuve Hàn, emplacement de la future Đà Nẵng. Cependant, le modèle que les auteurs des projets avaient en tête était double:

     – Pour les Vietnamiens, c’est le modèle de Hoài Phố - Hội An. Il y avait là à l’époque une « colonie » japonaise et une « colonie » chinoise. Chacune s’organisait, suivait ses propres coutumes et lois. Chaque colonie choisissait son propre « capitaine », qui devait être approuvé par l’autorité vietnamienne. Le « capitaine » avait autorité sur sa communauté nationale, mais toujours sous l’autorité supérieure du mandarinat. Ces colonies faisaient le commerce, en payant les taxes prévues (élevées) aux autorités vietnamiennes. Ce système convenait à tous. Aussi le Chúa cherchait-il à fixer sur place une « colonie » portugaise du même type. Cela lui permettait également d’espérer un appui portugais pour la défense extérieure, notamment contre le Đàng Ngoài, mais aussi contre les Espagnols, Hollandais...

     – Pour les Portugais, c’est le modèle de Macao qui prévalait. Beaucoup d’historiens ne comprennent pas bien quelle était aux 16e et 17e siècles la réalité de Macao; celle-ci a fait l’objet de plusieurs études récentes, y compris chinoises. Il était clair pour tous que c’était une terre chinoise et non portugaise, et les Portugais payaient un droit très élevé de location de la terre, en plus des droits d’amarrage et douanes. Toutes les activités portugaises étaient surveillées par un mandarin spécialement affecté à Macao, dépendant des autorités supérieures de Canton. Le royaume du Portugal avait comme seuls représentants (a) depuis 1557 un « capitaine du voyage du Japon », qui avait juridiction, pour une année seulement, sur les voyages maritimes, mais non sur la population comme telle; (b) depuis 1576 l’évêque (ou, plus souvent, un administrateur de l’évêché) qui avait compétence sur les matières ecclésiastiques; et (c) depuis 1580 un juge de paix, qui avait compétence en matière judiciaire pour les Portugais seulement. L’oligarchie portugaise a obtenu en 1583 d’avoir son « Sénat », avec compétence sur les affaires civiles portugaises. Mais la surveillance des mandarins était constante pour éviter tout empiètement (les Portugais, par exemple, tendaient à mettre les Chinois convertis au christianisme sous leurs propres lois). Ici comme à Hội An, le système convenait à tous, puisque les Portugais s’enrichissaient fortement dans le commerce du Japon, et n’avaient pas de taxes à payer à leur propre couronne. Macao n’a eu de gouverneur (militaire), avec une petite garnison, qu’à partir de 1623, à cause de l’attaque hollandaise de 1622 repoussée à grand peine par la population. Mais à l’époque dont nous parlons, cet aspect n’entre pas en ligne de compte. Ce n’est qu’au 19e siècle que le Portugal déclarera unilatéralement Macao « territoire portugais ».

     A l’époque considérée, le voyage très lucratif entre Macao et le Japon était devenu précaire, à cause de la fermeture progressive de ce pays aux Portugais. Le Viêt-nam apparut à certains comme une alternative intéressante pour remplacer le commerce avec le Japon. Mais Macao occupait dans ce cas une position géographique peu favorable. Les projets d’implantation d’une « colonie portugaise » au Viêt-nam viennent de là; on espérait trouver auprès du Chúa Nguyễn des conditions plus favorables qu’auprès du mandarinat chinois.

[31]  Voir lettre du Roi au Vice-Roi Jerónimo de Azevedo du 6.2.1616: Lisbonne, Archives Nationales - Torre do Tombo, Livros das Monções no 9, fol. 40, doc. 636; publié in Raymundo Antonio de Bulhão Pato (dir.), Documentos remettidos da India ou Livros das Monções, tome III, Lisbonne, Academia Real das Sciencias, 1888, p. 381-382. – Lettre du Vice-Roi Jerónimo de Azevedo au Roi, 3.1617: Goa, Archives Nationales, Registo das cartas de D. Jerónimo de Azevedo no 17, fol. 261v, texte dans Boletim da Filmoteca Ultramarina Portuguesa [= BFUP] 4, 1954, p. 826, et 7, 1956, p. 823. – Lettre du Roi au Vice-Roi João Coutinho du 20.2.1618: Lisbonne, Archives Nationales, Livros das Monções no 11, fol. 183, doc. 991, publié in R.A. de Bulhão Pato, ouvr. et tome cités, p. 351. – Lettre du Roi au Vice-Roi João Coutinho du 23.1.1618: Lisbonne, Archives Nationales, Livros das Monções no 11, fol. 53, doc. 943, publié ibid., tome IV, Lisbonne, Academia Real das Sciencias, 1893, p. 280. – Lettre du Roi au Vice-Roi João Coutinho du 5.3.1620: Lisbonne, Archives Nationales, Livro das Monções no 13, fol. 271; publié par P.-Y. Manguin, Les Portugais sur les côtes du Viêt-nam (cité plus haut, note 17), p. 308.

[32]  Lettres du Vice-Roi João Coutinho au Roi 7.2.1619 et 8.2.1619: Lisbonne, Archives Nationales, Livro das Monções no 11, fol. 54, doc. 944 et fol. 184, doc. 992; publiées in R.A. de Bulhão Pato, ouvr. cité, tome IV, p. 281 et 382.

     Pour l’attitude du Vice-Roi Francisco da Gama, voir Manuel Teixeira, A diocese portuguesa de Malaca (Macau e a sua diocese, vol. 4), Macau, Ed. do Boletim Eclesiástico, 1957, p. 242.

[33]  Pierre-Yves Manguin, Les Portugais sur les côtes du Viêt-Nam et du Campa (cité à la note 17).

[34]  George Bryan Souza, The Survival of Empire. Portuguese Trade and Society in China and the South China Sea, 1630-1754, Cambridge (Grande-Bretagna), 1986.

[35]  Voir notamment Manuel Teixeira, Relações comerciais de Macau com o Viêtnam (Macau e a sua diocese, vol. 15), Macao, Imprensa Nacional, 1977; et divers autres volumes de la collection Macau e a sua diocese (16 vol., Macao, divers éditeurs, 1940-1979).

[36]  Pour l’évêché de Malacca (fondé en 1558), voir lettre de Francisco Vieira à Mutio Vitelleschi, de Macao 26.11.1616: Rome, Archives de la Compagnie de Jésus (citées désormais sous le sigle habituel « ARSI »), collection Jap.-Sin., vol. 17, fol. 21-22 et 22-23; voir en outre les rapports de la visite ad limina de l’évêché de Malacca en 1624: Rome, Archivio Segreto Vaticano, fonds S.C. Concilio - Visite ad limina, boýte 481, sans référence.

     Pour l’évêché de Macao (fondé en 1576), voir minute de la lettre du Vice-Roi Jerónimo de Azevedo au Roi (1616-1617?): Goa, Archives Nationales, Registo das cartas de D. Jerónimo de Azevedo no 12, fol. 28-29; texte dans BFUP 4, 1955, p. 724, cf. 7, 1956, p. 859.

[37]  Voir lettre de João Rodrigues Giram à Nuno Mascarenhas, de Macao 26.2.1615: ARSI, Jap.-Sin. vol. 18-II, fol. 169-171 et 172-173; lettre de Valentim de Carvalho à Nuno Mascarenhas, de Macao 9.2.1615: ibid., fol. 174-175; etc. Voir également Nicolao da Costa, « Annua do Collegio de Macao desde Janeiro de 615 ate o outro de 616 », datée de Macao 17.1.1616: ARSI, Jap.-Sin. vol. 114, fol. 1-9 (fol. 4v-5).

[38]  Voir Giuliano Baldinotti, « Viagem de Tunkim » et « Breve relação » (1626): Lisbonne, Biblioteca da Ajuda, Jesuítas na Ásia, vol. 49/V/31, fol. 15-24. – Pêro Marques, « Annua de Tunkim anõo 1627 » datée du 25.7.1627: ARSI, Jap.-Sin. vol. 88, fol. 11-18v.  – Anonyme, « Missam que se fes do Collegio de Macao ao Reino de Tonquim cabeça da Cochỹchina no anno de 1627 », ibid. vol. 72, fol. 88-127. – Alexandre de Rhodes, « Initium missionis Tunquinensis anno 1627 », Lisbonne, Biblioteca da Ajuda, Jesuítas na Ásia, vol. 49/V/31, fol. 24-26v et vol. 49/V/6, fol. 443v-446v. Lettre de João Rodrigues Girão à Antonio Freire, de Macao 25.11.1627: Lisbonne, Biblioteca Nacional, Manuscritos, boýte 30, no 210.

[39] Depuis 1580, les rois d’Espagnes étaient en même temps rois du Portugal. En 1640, le Portugal rejeta cette dynastie espagnole et remit sur le trône, en la personne du Duc de Bragance, une dynastie vraiment portugaise. Mais, pendant trente ans, le Saint-Siège considéra illégitime cette nouvelle dynastie et soutint les revendications du roi d’Espagne. Voir  ci-dessous.

[40]  Sur les tenants et aboutissants de la crise entre le Portugal restauré et le Saint-Siège et la création des Vicaires apostoliques pour le Viêt-nam, voir notamment Henri Chappoulie, Rome et les Missions d’Indochine au xviie siècle, tome I, Clergé portugais et évêques français dans les royaumes d’Annam et de Siam, Paris, Bloud et Gay, 1943; tome II, La constance romaine et l’établissement définitif des vicaires apostoliques dans les royaumes d’Annam et de Siam, Paris, Bloud et Gay, 1948; et António da Silva Rego, Lições de Missionologia, Lisbonne, Junta de Investigações do Ultramar, Centro de Estudos Políticos e Sociais, 1961 (cf. le chapitre: « Desentendimento entre o Padroado e a Propaganda na Cochinchina, no Tonquim e Sião, 1658-1696 », p. 173-179).

[41]  Voir les listes et biographies publiées par Manuel Teixeira dans son ouvrage As Missões Portuguesas no Vietnam [Macau e a sua diocese vol. 14, Macau, Imprensa Nacional, 1977] p. 279-491; et dans Josef Franz Schuštte (éd.), Textus Catalogorum aliaeque de personis domibusque S.J. in Japonia  informationes et relationes 1549-1654 (Monumenta Historica Iaponiae I), Rome, Institutum Historicum Societatis Iesu, 1975, p. 611-1120.

[42]  Les contemporains parlent même de 300 000 chrétiens: voir le rapport d’Alexandre de Rhodes à Propaganda Fide: Rome, Archives de Propaganda Fide, fonds SOCG, vol. 193, fol. 462. Mais ce chiffre est contesté, les estimations modernes allant jusqu’à 200 000.

[43]  Voir par exemple les listes manuscrites de communautés chrétiennes du Tonkin dans les archives jésuites de Macao: Lisbonne, Biblioteca da Ajuda, Jesuítas na Ásia, vol. 49/V/31, fol. 44-46 (vers 1640); ibid. vol. 49/V/33, fol. 146-148v  (1676) et 379-382 (1678)...

[44]  Cf. Gaspar do Amaral: « Relaçã dos catequistas da Christandade de Tumquim e seu modo de proçeder pera o Pe Manoel diaz Vizitador de Jappã e China » (1638): ARSI, Jap.-Sin. 88, fol. 348-354v; cf. aussi Madrid, Real Academía de la Historia, Archivo de Japón, leg. 21 bis, fasc. 16, fol. 31-37; Lisbonne, Biblioteca da Ajuda, Jesuítas na Ásia, vol. 49/V/31, fol. 383-407. Voir en outre: Gio[vanni] Filippo de Marini, Delle missioni de’ Padri della Compagnia di Giesv nella Prouincia del Giappone, e particolarmente di quella di Tumkino, Rome, Nicoló Angelo Tinassi, 1663, p. 183-188.

[45]  Voir le Processo informatorio instruit en vue de la canonisation d’André, tenu à Macao de décembre 1644 à février 1645, et légalisé par l’autorité municipale de Macao: Rome, Archivio Segreto Vaticano, fonds Riti, n° 479. Récit autographe d’Alexandre de Rhodes: « Rellação do glorioso Martirio de Andre Cathequista Protomartir de Cochinchina, alanceado, e degolado em Cachão aos 26 de Julho de 1644. tendo de idade dezanove annos »: ARSI, Jap./Sin. 71, fol. 261-265. Cf « Relação da morte do catequista André, proto-mártir da Cochinchina » [texte d’Alexandre de Rhodes, retraduit de l’italien par Miguel Serras Pereira], in Boletim Eclesiástico da Diocese de Macau 76, 1978, p. 237-262). Voir également Manuel Teixeira, « André, de Phu Yen, o primeiro mártir do Vietnão », in Boletim Eclesiástico da Diocese de Macau, 57, 1959, p. 788-793; id. « Andrew, the proto-martyr of Vietnam », in A precious treasure in Coloane: The relics of Japanese and Vietnamese martyrs, 3e éd., Macao, Department of Tourism, 1982, p. 19-27. Le récit autographe en portugais a fait l’objet d’une adaptation en français: La glorievse mort d’André Catechiste de la Cochinchine, qui a le premier versé son sang pour la querelle de Iesvs-Christ, en cette nouuelle Eglise. Par le P. Alexandre de Rhodes de la Compagnie de Jesus qui a toujours esté present à toute cette Histoire, Paris, Sébastien Cramoisy, 1653.

     Il faut noter que le catéchiste André ne figure pas parmi les 117 martyrs du Viêt-nam canonisés en 1988, de même que n’y figurent aucun missionnaire portugais ni aucune de leurs ouailles. La cause de canonisation d’André, introduite auprès du Saint-Siège en 1649, a finalement abouti à sa « béatification » (reconnaissance officielle de la valeur exemplaire de son martyre), à Rome le 5 mars 2000. Cet invraisemblable retard semble duâ à la disgrâce des Jésuites en cour de Rome après 1659, puis aux siècles obscurcis par la querelle des rites, avec laquelle l’intrépide adolescent n’avait pourtant rien à voir. Cf. Vinh Sơn Trần Ngọc Thụ, « Thầy giảng Anrê Phú Yên được phong Chân Phúc », in Định Hướng 23, été 2000, p. 4-12 ; Roland Jacques, « Thầy giảng Anrê và tước hiệu “Tử đạo tiên khởi Việt Nam” », ibid., p. 13-23.

[46]  Voir par ex. l’état des lieux fait par le Jésuite Joseph Tissanier dans ses lettres à Goswin Nickel, 29.10.1659, et à Pierre Le Carré, 20.11.1660: ARSI, Jap.-Sin. 80, fol. 149-149v et 151-151v.

[47]  Voir, entre autres, Francisco Faria Paulino, Maria Leonor Carvalhão Buescu et alii (dir.), A galáxia das línguas na época da Expansão, [Lisbonne], Comissão Nacional para as Comemorações dos Descobrimentos Portugueses, 1992: p. 54-60, avec la bibliographie citée; et Ana Paula Laborinho, « A questão da língua na estratégia da Evangelização », in Macau, 31, 1994, p. 66-72. Les premières grandes œuvres concernant la langue japonaise datent du tournant des 16e et 17e siècles: Dictionnarium Latino-Lusitanum ac Japonicum ex Ambrosii Calepini volumine depromptum, Amacusa, 1595, cf. éd. fac-similé, Tokyo, 1953 et 1979; Vocabulario da Lingoa de Japam com a declaraçã em Portuguez, Nangasaqui, 1603. Les deux grammaires japonaises de João Rodrigues (Arte da lingoa de Iapam et Arte breve da lingoa Iapoa) ont été imprimées au Japon, respectivement entre 1604 et 1608, et en 1620.

[48]  Voir par exemple la préface anonyme de l’ouvrage collectif dirigé par Hoàng Văn Hành, Từ điển yếu tố Hán Việt thông dụng. Dictionary of Sino-Vietnamese everyday usage elements, Hà Nội, Nhà xuất bản Khoa học Xã hội, 1991, p. 5-9. Voir aussi Nguyễn Thị Chân Quỳnh, « Concours de mandarins » (cité plus haut, note 3). Nous faisons abstraction ici du cas du coréen, du fait que cette langue n’a pas fait l’objet d’études de la part des Européens à l’époque considérée.

[49]  Francisco de Pina, né à Guarda en 1585, rejoignit la Compagnie en 1605. Il étudia à Macao de 1613 à 1616 environ, se qualifiant notamment en japonais. Ordonné prêtre à Malacca en 1616, il partit fin 1617 pour la mission de Cochinchine, ó il mourut accidentellement le 15.12.1625. Suite à l’erreur commise par Fortuné-M. de Montézon et Édouard Estève dans Mission de la Cochinchine et du Tonkin (Paris, Charles Douniol, 1858, p. 386), un certain nombre d’auteurs continuent jusque aujourd’hui à affirmer que Pina est italien. Les sources anciennes sont pourtant sans ambiguðté: voir Josef Franz Schuštte, (éd.), Textus Catalogorum (cité note 41), p. 855, 955 et passim.

[50]  Voir les indications biographiques données sous le nom de « João Rodrigues » par Joseph Dehergne, Répertoire des Jésuites de Chine de 1552 à 1800, Rome, Institutum Historicum S.I., et Paris, Letouzey et Ané, 1973. Pour sa personnalité et son rayonnement, voir Michael Cooper, Rodrigues the Interpreter. An Early Jesuit in Japan and China, New York / Tokyo, Weatherhill, 1974.

[51]  « Tiene questo huomo un figlio di sedici anõi il più uiuo et habile di quel loco, et il migliore scrittore nella lrã Cinese, cosa che tra di loro è di molta stima. [...] Questo giouane che battizato si chiama Pietro, con le sue lrẽ fà di grande agiuto al prẽ, per tradurre nella lingua della terra il Pater noster, Ave Maria, Credo, et Decalogo; che li Xpõiani già hanõo imparato à mente. Compose anche il prẽ nella lingua gl’articoli della fede, ne quali bastantemte si declara hauer un Dio solo, li misterij della Ssma Trinità, e dell’Incarnatne e Redentione, e la necessità che habbiamo di participare i meriti di Chrõ nrõ Sigre per mezzo della fede, e santi sacramenti.  Li Xpõiani uanõo tutto scriuendo, e gia cominciano à dire la corona à nrõ modo... ». Le rapport est signé par Francisco Eugenio, Jésuite italien de Macao, qui fournit ces indications de deuxième main: « Annua del Collegio di Macã del 1618 » (ARSI, Jap.-Sin. 114, fol. 176-185). Le passage cité est aux fol. 183v-184.

[52] Loc. cit., fol. 183v.

[53]  Ces renseignements sont tirés d’une lettre dont il n’existe, à notre connaissance, qu’une copie aux archives Jésuites de Macao, et dont nous avons fait l’édition textuelle et le commentaire: Lisbonne, Biblioteca da Ajuda, Jesuítas na Ásia, vol. 49/V/7, fol. 413-416. Cette lettre est sans date et sans signature; le copiste (José Montanha ou Manuel Álvares, vers 1755) l’a annotée comme étant vraisemblablement de la main de Pina, et l’a datée de 1622-1623. Nous avons pu démontrer avec certitude que l’attribution à Pina et la datation (premiers mois de 1623) sont les seules possibles: voir Roland Jacques, L’œuvre de quelques pionniers portugais dans le domaine de la linguistique vietnamienne jusqu’en 1650: mémoire de D.E.A. soutenu à Paris, INALCO, 1995 (en cours de publication).

[54] Daniello Bartoli, Dell’Historia della Compagnia di Giesu. La Cina. Terza parte dell’Asia, Rome, Stamperia del Varese, 1663, p. 618.

[55] « Era il P. Pina di nation Portoghese, in età di quaranta anni, caro anche a gl’idolatri, percioche ne parlaua la lingua quanto Cocincinese natiuo » (La Cina, p. 834).

[56]  Voir la lettre de Manoel Fernandes à Nuno Mascarenhas, datée de Faðfo 2.7.1625: ARSI, Jap.-Sin. 68, fol. 11-12: « ... Fica acomodada huã casa em Cachã corte do príncipe, que ategora nã estaua em ordem de casa da Compa, inda que sempre la residia hũ Pe com seu companheiro, nella fica agora Pe Fco de Pina ensinando a lingua aos Pes Alexe Rodes, e Anto de Fontes... ». Nous traduisons: « Une maison [religieuse] a été organisée à Cachão, capitale du Prince; jusqu’à présent elle ne comptait pas au nombre des maisons de la Compagnie, bien qu’un Père y résidât toujours avec son compagnon. Maintenant, le Père Francisco de Pina y habite et y enseigne la langue aux Pères Alexandre Rhodes et António de Fontes ».

[57]  António de Fontes, né en 1569 à Lisbonne, rejoignit la Compagnie en 1584; il fut professeur à Coimbra et Braga, avant de s’embarquer pour l’Orient en 1617; il fut affecté à la mission de Cochinchine de 1624 à 1631, puis à celle du Tonkin ó il fit plusieurs séjours jusqu’en 1648.

[58]  Voir Gaspar Luís, « Cocincinicae missionis annuae litterae anni 1625 », ARSI, Jap.-Sin. 72 (fol. 50-67), fol. 59-59v; et le récit anonyme « Relaçã de huã perseguiçã da Christandade de Cochinchina » (1626): ibid., Jap.-Sin. 68, fol. 39-40 et 41-42.

[59]  La meilleure étude disponible sur ce sujet est sans doute celle du Jésuite vietnamien Joseph Đỗ Quang Chính: Lịch sử chữ Quốc ngữ 1620-1659 [Histoire de l’écriture vietnamienne romanisée 1620-1659], Sài Gòn, 1972; rééd. Paris, Đường Mới, 1985. L’auteur a cependant été handicapé par son insuffisante maýtrise du portugais. L’étude mériterait d’être reprise et complétée par l’apport de l’ensemble du corpus manuscrit. Pour les débuts de la littérature chrétienne, voir Georg Schurhammer, « Annamitische Xaveriusliteratur » [Littérature vietnamienne concernant François Xavier], in Johannes Rommerskirchen et Nikolaus Kowalski (ed.), Missionswissen­schaftliche Studien, Festgabe Pr. Dr. Johannes Dindinger [...] [Études de sciences missionnaires, hommage festif au Professeur J.D.], Aix-la-Chapelle, Wilhelm Metz, [1951], p. 300-314; Long Tê, Dẫn-nhập nghiên-cứu tiếng Việt và chữ Quốc ngữ [Introduction à la recherche sur la langue vietnamienne et l’écriture quốc ngữ], [Reichstett (France)], Trung tâm Nguyễn Trường Tộ / Định hướng Tùng thư, 1997; et Nguyễn Văn Trung [dir.], Về Sách báo của tác giả Công giáo (Thế kỷ xvii-xix) [Des livres et périodiques d’auteurs catholiques, 17e-19e siècles], Faculté des Lettres de l’Université de Hồ Chí Minh-Ville, 1993, notamment les contributions de Thanh Lãng et de Long Tê.

[60]  Sur la problématique de la participation des chrétiens vietnamiens aux créations linguistiques du 17e siècle, voir notamment Hoàng Tuệ, « Sur la création du quốc ngữ (l’écriture vietnamienne) », in 90 ans de recherches sur la culture et l’histoire du Viêt-nam, Hà Nội, EFEO, 1995, p. 456-460; et Nguyễn Đình Đầu, « Alexandre de Rhodes và chữ Quốc ngữ » [A. de Rhodes et l’écriture quốc ngữ], in Tuyển tập Thần học [Sélections théologiques (Hồ Chí Minh-Ville)], 8/1993, p. 47-84.

[61]  Dans son ouvrage Divers voyages et missions (cité plus haut, note 9), Rhodes donne suffisamment d’éléments autobiographiques. Pour éclairer son implication personnelle dans le travail linguistique, on pourra se reporter an curieux manuscrit autographe rédigé en 1632 dont nous avons fait une édition partielle, et ó apparaissent clairement à la fois la réalité et l’imperfection, à cette date, de ses connaissances concernant la phonétique vietnamienne. Cf. Roland Jacques, « Un document de linguistique comparée, japonais - chinois - vietnamien, rédigé à Macao en 1632 », in Định Hướng 19, été 1999, p. 141-157, et 21, hiver 1999, p. 86-106.

[62]  Alexandre de Rhodes, Dictionnarium annamiticum, lusitanum et latinum, « Ad Lectorem », texte non paginé au début du volume.

[63]  Gaspar do Amaral (ou de Amaral), né en 1594 à Curvaceira (aujourd’hui freguesia de Chão de Tavares près Mangualde, district de Viseu), rejoignit la Compagnie en 1607. D’abord professeur à Braga, Coimbra et Évora, il partit en Orient en 1623. Il fut envoyé à la mission du Tonkin en 1629 à 1638,  y passant au total sept ans en deux séjours. Il exerça ensuite à Macao les fonctions de recteur, de vice-provincial, puis de visiteur des missions. Il mourut en février 1646, sur les côtes de Hainan, dans le naufrage du navire qui le ramenait au Tonkin. À sa mort, il passait pour le meilleur spécialiste jésuite de la langue vietnamienne.

[64]  António Barbosa, né en 1594 à Arrifana do Sousa (aujourd’hui Penafiel à l’est de Porto), rejoignit la Compagnie à Lisbonne en 1624 et partit peu après pour l’Orient. En 1629, il fut envoyé à la mission de Cochinchine, puis en 1636 à celle du Tonkin. En 1642, la maladie l’obligea à revenir à Macao, puis à Goa ó il mourut en 1647.

[65]  Voir J. F. Schuštte, Textus Catalogorum (cité note 41), p. 1034-1050. Voir les documents: ARSI, Jap.-Sin. 80, fol. 35-38v et 73-81; Lisbonne, Biblioteca da Ajuda, Jesuítas na Ásia, 49/V/13, fol. 351-373 et 661-663; 49/V/32, fol. 308-327v .

[66]  Baltazar Caldeira, né à Macao en 1608, fut missionnaire au Tonkin à partir de 1639; il fut envoyé en Cochinchine en 1646, mais en fut expulsé la même année; il mourut à Goa en 1674. Manuel Pacheco, natif de Cantanhede au Portugal, fut missionnaire au Tonkin de 1641 à 1642; l’essentiel de sa carrière fut celle d’un professeur à la Faculté des Arts du Collège de Macao, ó les langues étaient enseignées; il y mourut en 1647. Pêro Alberto, natif de Bragance (?), fut missionnaire en Cochinchine en 1640-1641, puis au Tonkin à partir de 1641; il mourut à son retour de Macao dans le naufrage de 1646, avec Gaspar do Amaral. Metello Saccano, natif de Messine (Sicile, Italie), avait quitté Lisbonne pour l’Orient seulement en 1643; il fut missionnaire en Cochinchine entre 1646 et 1655, et de nouveau en 1662; il y mourut la même année, quelques mois après son arrivée.

[67]  Voir les documents: Lisbonne, Biblioteca da Ajuda, Jesuítas na Ásia, 49/V/32, fol. 521-522v  et  681-681v ; 49/IV/61, fol. 231v-252v  et 362v-377.

[68]  ARSI, Jap.-Sin. 80, fol. 88-89v et 96-96v.

[69]  Daniello Bartoli, Dell’Historia della Compagnia di Giesu. La Cina. Terza parte dell’Asia, Rome, Stamperia del Varese, 1663; voir manuscrit (365 fol.), conservé à Rome, aux Archives de la Compagnie de Jésus; nombreuses rééditions, dont: La Cina: Storia della Compagnia di Gesù, Milan, Bompiani, 1975.

[70]  ARSI, Fondo Gesuitico 668, fol. 153 (censure signée Antonio Casilio) et 158 (censure signée V.M., vraisemblablement Vasco Martins).

[71]  ARSI, Lus. 37-II, fol. 379-385. Comparer entre autres avec les lettres de Joseph Tissanier datées 15.11.1658, 29.10.1659, 12.11.1659: ARSI, Jap.-Sin. 80, fol. 120-121 et 149-152.

[72]  Voir le bref du Pape Alexandre VII « Super Cathedram Principis Apostolorum » du 9.9.1659,
dans le Bullarium Patronatus Portugalliae Regum, tome II (Visconde de Paiva Manso ed., Lisbonne, 1870), p. 95, et dans Francisco Javier Hernáez, ed.,
Colección de bulas, breves y otros documentos relativos a
la Iglesia en Amé­ri­ca y Filipinas (Bruxelles, Alfred Vromant, 1879), t. 2, p. 884-885.

Les premiers émissaires des Vicaires apostoliques sont parvenus au Viêt-nam en 1664 et 1666.

[73]  Voir, entre autres, le document intitulé: Breve ragguaglio di ció, che é accaduto nelle Indie Orientali fra i Vicari Apostolici, ed i missionari della Compagnia di Giesù dall’anno 1662 fino al 1694. Manuscrits à Rome, Archives de Propaganda Fide, fonds Informazioni, vol. 135, fol. 223-233; Rome, Bibliothèque Nationale Centrale, Fondo Gesuitico, vol. 1255, no 49; version plus brève à Lisbonne, Biblioteca da Ajuda, Jesuítas na Ásia, vol. 49/V/32, fol. 789-791. Nous avons mentionné plus haut, note 40, deux ouvrages traitant de ce conflit: Henri Chappoulie, Rome et les Missions d’Indochine, et António da Silva Rego, Lições de Missionologia.

[74]  Voir par exemple A. Thomazi, La conquête de l’Indochine, Paris, Payot, 1934, p. 13: « En Annam comme au Siam, les premiers Français que l’on vit furent les missionnaires. Le Père Alexandre de Rhodes aborda en Cochinchine en 1624, passa vingt-cinq ans dans ce pays et au Tonkin; il en rapporta la première carte du pays, un dictionnaire annamite-latin-portugais, une histoire du Tonkin, et signala les possibilités qui s’offraient au commerce. “Il y a là, écrivait-il, une place à prendre et, en s’établissant, les marchands d’Europe pourraient y trouver une source féconde de profits et de richesse” ». Thomazi renvoie en note, avec indication de la page, à l’ouvrage d’Alexandre de Rhodes Divers voyages (cité plus haut, note 9); mais cette prétendue citation, qui a souvent été reprise et commentée (en mauvaise part) dans les publications du Viêt-nam indépendant, semble être une invention de Thomazi. Voir à ce sujet Vương Đình Chữ, « Một ngộ nhận về Alexandre de Rhodes » [Une méprise concernant A. de R.], in Công giáo và Dân tộc [Les Catholiques et la Nation (Hồ Chí Minh-Ville)], no 901, 4.4.1993, p. 18-19.

[75]  L’ouvrage fondamental de Pierre Huard et Maurice Durand, Connaissance du Viêt-nam (Paris, Imprimerie Nationale, et Hà Nội, EFEO, 1954), dans le chapitre intitulé « Le Viêtnam et les Européens », ne fait que deux allusions marginales aux Portugais, sans faire le lien avec la transcription alphabétique de la langue (p. 51-52). Parmi les historiens des missions, on peut citer Alphons Mulders: traitant de la mission au Viêt-nam, il ne fait pas la moindre allusion au Portugal ou aux Portugais, Alexandre de Rhodes semblant avoir tout fait tout seul (Missiegeschiedenis, Bussum [NL], Paul Brand, 1957, p. 337).

[76]  On pourra s’en convaincre en parcourant les bibliographies consacrées à cette région et à cette période. Parmi les plus récentes, on peut citer: Nguyễn Thế Anh, Bibliographie critique sur les relations entre Viêt-Nam et Occident (ouvrages et articles en langues occidentales), Paris, Maisonneuve et Larose, 1967; Kennedy G. Tregonning, Southeast Asia: A critical bibliography, Tucson, University of Arizona Press, [1969]; Chantal Descours-Gatin et Hugues Villiers, Guide de recherches sur le Viêt Nam: bibliographies, archives et bibliothèques de France, Paris, L’Harmattan, 1983. Pour la période plus ancienne, voir l’ouvrage classique fondamental de Henri Cordier, Bibliotheca Indosinica: Dictionnaire bibliographique des ouvrages relatifs à la péninsule indochinoise, 4 tomes, Paris, Ernest Leroux, 1912-1915, et son Index, par M.-A. Roland-Cabaton, Paris, Van Oest-Leroux, 1932 (rééd. des 5 tomes: New-York 1967 et Taipei 1969). Pour ce qui est de la bibliographie des missions catholiques (sources et études), l’ouvrage de référence indispensable est: Robert Streit et succ. (ed.), Bibliotheca Missionum, 30 vol., Mušnster, puis Aix-la-Chapelle, puis Rome / Fribourg-en-Brisgau / Vienne, Herder, 1916-1975 (pour l’Indochine, voir surtout les vol. 4 [1245-1599], 5 [1600-1699], 6 [1700-1799], 11 [1800-1909], et 29 [1910-1970]); cet ouvrage est continué par la Bibliographia Missionaria (Johannes Rommerskirchen et succ., ed.), qui paraýt annuellement à Rome depuis 1935. Pour l’histoire de la Compagnie de Jésus, on dispose également de bibliographies spécifiques, entre autres László Pólgar, Bibliographie sur l’histoire de la Compagnie de Jésus 1901-1980: tome II/2, Les pays: Amérique, Asie, Afrique, Océanie, Rome, 1986.

[77]  Qu’il nous soit permis de citer ici un cas récent, d’intérêt général plus que scientifique. Le 18.1.1996, à l’occasion de la visite officielle de la Conférence des Évêques de France, le quotidien La Croix (Paris) faisait paraýtre sous la signature du journaliste Frédéric Mounier un article « L’Église de France se tourne vers l’Église du Viêt-nam »; l’auteur y citait entre guillemets les paroles du président de la Conférence: « Cette Église est d’origine française. Elle a été fondée grâce aux efforts des missionnaires français ». Voir notre mise au point, parue tardivement dans le même journal le 12.6.1997 sous le titre « L’Église catholique du Vietnam est-elle française? ». Voir aussi Roland Jacques, « Ai đã thành lập Giáo Hội Việt Nam », in Định Hướng, no 14, hiver 1997, p. 120-124.

[78]  Parmi les historiens du Viêt-nam, voir par exemple Thành Khôi, Histoire du Viêt-nam des origines à 1858, Paris, Sudestasie, 1982. Parmi les historiens des missions catholiques au Viêt-nam, voir entre autres la thèse de Nguyễn Hữu Trọng, Le clergé national dans la fondation de l’Église au Viêt Nam. Les origines du clergé Vietnamien (Paris, Institut Catholique, 1955), publiée à Sài Gòn, Tinh Việt, 1959, avec les réfutations apportées par Eusebio Arnáiz, « En torno al patronato portugués », in Boletim Eclesiástico da Diocese de Macau 57, 1959 et 58, 1960, et par Manuel Teixeira, As Missões Portuguesas no Vietnam (cité note 41), passim.

[79]  Voir les Actes du congrès: Nguyễn Đức Diệu, ed., Đô thị cổ Hội An. Hội thảo quốc tế tổ chức tại Đà Nẵng ngày 22, 23-3-1990, Hà Nội, Nhà xuất bản Khoa học Xã hội, 1991; trad. anglaise partielle: Ancient Town of Hội An. International Symposium held in Đà Nẵng on 22-23 March 1990, Hà Nội, Thế Giới Publishers, 1993.

[80]  Voir Hồng Nhuệ [pseudonyme de Nguyễn Khắc Xuyên], Công trình nghiên cứu tiếng Việt của một người Thụy sĩ ở Kẻ Chợ Đàng Ngoài Onufre Borgès 1614-1664. Góp í với Roland Jacques về công trình nghiên cứu tiếng Việt của mấy người Bồ tiên phong cho tới 1650 [L’œuvre de recherches sur la langue vietnamienne d’un Suisse, Onufre Borges (1614-1664), réalisée à la capitale du Tonkin. Une opinion sur la position de Roland Jacques, au sujet de l’œuvre de recherches sur la langue vietnamienne des pionniers portugais jusqu’en 1650], Paris, à compte d’auteur [/ Fountain Valley, Ca. (États-Unis), Thánh Linh], 1996. Cet ouvrage de 221 pages traduit en vietnamien les textes manuscrits que nous avons édités, et reprend l’essentiel de nos annotations (voir Roland Jacques, L’œuvre de quelques pionniers portugais, cité plus haut, note 53); il perd beaucoup de son intérêt à cause du ton très polémique employé par l’auteur pour défendre la thèse traditionnelle, attribuant au seul Rhodes la paternité principale de la romanisation du vietnamien.

[81]  Beaucoup d’aspects de ce voyage ne sont connus que par le récit que Rhodes en a fait.

     Manuel de Azevedo, né à Viseu (Portugal) en 1581, est mort à Macao en 1650. En tant que « Visiteur des Missions du Japon et de Chine » (1644-1650), il était la plus haute autorité de la Compagnie de Jésus pour l’Extrême-Orient. Il était secondé par un autre portugais, João Cabral, qui était alors recteur du collège et avait le titre de vice-provincial (1645-1646). Né à Celorico da Beira (Portugal) en 1598, Cabral exerça en 1647-1648 au Tonkin sa fonction de Visiteur. C’est lui qui avait présidé la consulte de Macao (1645) dont il a été question. Il mourut à Goa en 1669.

[82]  Outre les ouvrages d’Henri Chappoulie et d’António da Silva Rego cités plus haut (note 40), on peut se reporter sur cette question à Ignacio Ting Pong Lee, « La actitud de la sagrada congregación frente al Regio Patronato », in Joseph Metzler, (ed.), Sacrae Congregationis de Propaganda Fide memoria rerum. 350 ans au service des missions 1622-1972, tome I/1, Rome / Fribourg-en-Brisgau / Vienne, Herder, [1971], p. 353-438.

[83]  À partir de 1654, soit cinq ans avant leur aboutissement, on voit les négotiations concernant l’avenir de la mission au Viêt-nam échapper à Rhodes: la nomination des évêques pour le Viêt-nam, la première « commission » qui lui était confiée au départ de Macao, fut dès lors traitée entre autorités romaines. Lui même fut envoyé en Perse. Voir Lucien Campeau, « Le voyage du Père Alexandre de Rhodes en France 1653-1654 », in Archivum Historicum Societatis Iesu 48, 1979, p. 65-85, avec les documents d’archives cités.

[84]  Par ex. Stephen Neill, A history of Christian missions (Harmondsworth Middlesex [GB], Penguin, 1979). L’auteur affirme: « The hero of this epic of conversion was Alexandre de Rhodes » (p. 195). Imaginant que Rhodes fut seul à réaliser la romanisation, Neill poursuit: « The second gift of Rhodes to the Church was the reduction of the Vietnamese language to writing in the Latin alphabet. He must have had, in addition to great gifts for languages, a remarkably accurate ear; for Vietnamese is a tonal  language, and the accurate representation of these tones is extraordinarily difficult... » (p. 196). La pétition de principe est patente; d’ailleurs l’auteur en est réduit à une supposition, n’ayant pas de documents à citer à l’appui de ses affirmations.

     La biographie la plus récente de Rhodes, celle de Jean Lacouture (« Un Avignonnais dans la rizière », in Jésuites. Une multibiographie, tome I, Les conquérants, Paris, Seuil, 1991, p. 297-324), joue de manière assez habile entre le traitement « mythique » de la personne et de l’œuvre du grand missionnaire avignonnais, et les exigences de la critique « historique » des modernes. Malheureusement, d’innombrables erreurs de détail enlèvent à cet écrit l’essentiel de son intérêt pour l’historien. Le développement le plus récent sur la mission chrétienne au Viêt-nam dans la première moitié de 17e siècle est duâ au Jésuite Philippe Lécrivain: « La fascination de l’Extrême-Orient, ou le rêve interrompu » (L’âge de raison. 1620/30-1750, t. 9 de l’Histoire du christianisme des origines à nos jours dir. par  Jean-Marie Mayeur et alii, [Paris,] Desclée, [1997], p. 755-834). Si l’auteur se garde de faire de Rhodes l’auteur personnel des créations linguistiques, il continue cependant à le présenter comme le protagoniste, le seul acteur digne d’être nommé, de cette page d’histoire.

[85]  Voir, entre autres, Nicole-Dominique , Les Missions Étrangères et la pénétration française au Viêt-Nam, Paris / La Haye, Mouton, 1975; Thế Hưng, « L’Église catholique et la colonisation française », in Les Catholiques et le mouvement national, Études Vietnamiennes (Hà Nội) no 53, 1978, p. 9-81; Trần Tam Tỉnh, Dieu et César: les catholiques dans l’histoire du Viêt Nam, Paris, Sudestasie, 1978; [Collectif] Một số vấn đề lịch sử đạo Thiên Chúa trong lịch sử dân tộc Việt Nam. Kỷ yếu hội nghị khoa học tại Thành phố Hồ Chí Minh ngày 11 và 12-3-1988 [Quelques problèmes de l’histoire du christianisme dans l’histoire du peuple vietnamien. Actes du colloque scientifique tenu à HCM-Ville les 11 et 12 mars 1988], Hồ Chí Minh-Ville, Institut des Sciences sociales et Comité gouvernemental des Affaires religieuses, 1988.

[86]  Pour la réhabilitation, voir ci-dessus, note 12.

     L’émigration vietnamienne est en fait divisée. Beaucoup de catholiques professent un culte d’Alexandre de Rhodes qui n’est pas toujours à l’abri d’exagérations. Ceci provoque dans d’autres milieux, se réclamant du nationalisme, une réaction: ce culte rendu à ce français comme éminent bienfaiteur du Viêt-nam leur semble être un essai de justification de la colonisation et est dénoncé comme tel.

[87]  Voir l’étude qu’a faite de cet « Accord de Bangkok du 5 décembre 1786 » Pierre-Yves Manguin, dans Les Nguyễn, Macau et le Portugal (1773-1802), Paris, EFEO, 1984, p. 55-73; ainsi que le texte p. 62-67.

[88]  C’est entre autres le cas des deux ouvrages historiques majeurs d’Alexandre de Rhodes: Tvnquinensis historiae libri dvo [...], Lyon, J.-B. Devenet, 1652 [trad. française chez le même éditeur dès 1651]; et Divers voyages et missions (cité plus haut, note 9). Voir, entre autres, l’avis de la commission romaine de censure de la Compagnie de Jésus sur ce dernier titre: « Duos libros Itinerarij P. Alexandri de Rhodes iudicant PP. RRes imprimi posse, ad spiritualem multorum consolationem » [Les Pères réviseurs jugent que les deux livres sur le voyage du P. Alexandre de Rhodes peuvent être imprimés, pour le réconfort spirituel de beaucoup]; Rome, ARSI, Fondo Gesuitico, vol. 668, fol. 196. À propos de l’ouvrage de Rhodes sur le catéchiste André, l’un des censeurs souhaite explicitement que Rhodes s’en tienne davantage aux règles de l’historiographie (ibid., fol. 186). Il nous semble que quelques historiens modernes se sont appuyés sur ces ouvrages sans exercer suffisamment leur esprit critique.

[89]  Pour les fonds d’archives portugais et espagnols concernés, voir entre autres Josef Franz Schuštte, El ‘Archivo de Japón’, Vicisitudes del Archivo jesuítico del Extremo Oriente y descripción del fondo existente en la Real Academía de la Historia de Madrid, Madrid, Real Academía de la Historia, 1964; et António da Silva Rego, « Jesuítas na Ásia », in Biblioteca da Ajuda. Revista de Divulgação, I/1, 5.1980, p. 95-112; Maria Augusta da Veiga e Sousa, Roteiro e descrição sumária dos documentos que existem, em microfilmes, na filmoteca do Centro de Estudos de História e Cartografia antiga [= BFUP no 47], Lisbonne, 1986. Quant aux fonds romains, il s’agit essentiellement des Archives de la Compagnie de Jésus (ARSI), notamment fonds Jap.-Sin. et Fondo Gesuitico; à un moindre degré, de la Bibliothèque Nationale Centrale, Fondo Gesuitico et des Archives de Propaganda Fide. Toutes ces institutions sont ouvertes aux chercheurs et mettent à leur disposition des instruments de recherches.

[90]  Un certain nombre de chercheurs vietnamiens ont déjà soutenu des thèses d’histoire ou à composante historique, consacrées à la période considérée, auprès d’institutions universitaires parisiennes et romaines. Sauf exception, ces travaux sont restés inédits et souffrent des défauts déjà mentionnés, notamment d’une connaissance insuffisante des documents originaux rédigés en portugais. Qu’il nous soit permis de citer Nguyễn Hữu Trọng, Le clergé national dans la fondation de l’Église au Viêt-nam. Les origines du clergé Vietnamien (Paris, Institut Catholique, 1955; cf. supra); Vũõ Khánh Tường, Les missions jésuites avant les Missions Étrangères au Viêt Nam, 1615-1665 (Paris, Institut Catholique, 1956); Phạm Văn Hợi, La fondation de l’Église au Viêt-nam, 1615-1715 (Rome, Université Grégorienne, 1960); Đỗ Quang Chính, La mission au Viêt Nam, 1624-1630 et 1640-1645, d’Alexandre de Rhodes, sj, avignonnais (Paris, École Pratique des Hautes Études, 1969). Thèses en théologie: Nguyễn Khắc Xuyên, Le catéchisme en langue vietnamienne romanisée du P. Alexandre de Rhodes, 1651 (Rome, Université Grégorienne, 1956-1957); Placide Tấn Phát, Méthodes de catéchèse et de conversion du P. Alexandre de Rhodes, 1593-1660, (Paris, Institut Catholique, 1963); Mai Đức Vinh, La participation des notables de chrétientés vietnamiennes aux ministères des prêtres. Recherche historico-pastorale, 1533-1953 (Rome, Université St-Thomas, 1977); Nguyễn Chí Thiết, Le Catéchisme du Père Alexandre de Rhodes et l’âme vietnamienne (Rome, Université Grégorienne, 1980). – Thèses en droit canonique: Nguyễn Việt Cử, De institutione Domus Dei in missionibus Tonkini: Studium Juridicum (Rome, Université Grégorienne, 1954); Nguyễn Trọng Hồng, L’Institut des catéchistes et les missions d’Indochine au xviie siècle (Rome, Université Urbanienne, 1959); Phạm Quốc Sử, La Maison de Dieu, une organisation des catéchistes au Viêt-Nam (Rome, Université Urbanienne, 1975). Comme nous l’avons signalé, la thèse de Nguyễn Hữu Trọng, qui a été publiée, fut soumise à de sévères critiques du point de vue portugais: voir les références plus haut, note 78.

     En outre, plusieurs universitaires vietnamiens se sont penchés sur la personne et l’œuvre d’Alexandre de Rhodes, notamment à l’occasion du tricentenaire de sa mort. Voir entre autres divers articles de la revue Tạp chí Đại học [Revue de l’Université de Huế] parus en 1960 et 1961; et le numéro spécial de Việt-Nam Khảo-cổ Tập-san / Bulletin de l’Institut de Recherches Historiques [Sài Gòn], Tricentenaire de la mort du P. Alexandre de Rhodes 1593-1660, no 2/1961, 258 p.

[91]  Vương Lộc (éd.), Annam dịch ngữ [Lexique de traduction (chinoise) pour l’An Nam], Hà Nội, Trung tâm Từ điển học, 1995. Il s’agit d’un lexique à l’usage de l’administration chinoise (Empire Ming) chargée des relations avec les nations tributaires.

[92]  « Relaçã da gloriosa morte que padeçerã pella confissã da feê de Xpõ nosso Senhor tres cathechistas dos Padres da companhia de Jesvs em o Reino de Cochinchina, nos annos de 1644., e 1645. », manuscrit inédit daté de Goa en 1649, signé Mathias da Maya: ARSI, Jap./Sin. 70a, cahier séparé.

[93]  Batalhas da Companhia de Jesus na sua gloriosa provincia do Japão, manuscrit de 1650 édité par Luciano Cordeiro, Lisbonne, Sociedade de Geografia / Imprensa nacional, 1894: p. 185-198.

[94]  Noticias summarias das perseguições da missam de Cochinchina [...], Lisbonne, Miguel Manescal, 1700, p. 50-76. Ce texte présente cependant une certaine originalité par rapport à son modèle.

[95]  Alexandre de Rhodes, Histoire de la vie et de la glorieuse mort de cinq pères de la compagnie de Jesus, qui ont souffert au Japon. Avec trois séculiers, en l’année 1643, Paris, 1653.

[96]  Voir Alexandre de Rhodes, Divers voyages et missions (cité plus haut, note 9), p. 74.

[97]  Metelle Saccano, Relation des progrèz de la Foy au royaume de la Cochinchine ès années 1646, et 1647, Paris, Sébastien et Gabriel Cramoisy, 1653, p. 129.

[98]  Cf. rapport annuel signé par Gaspar do Amaral le 31.12.1632: Lisbonne, Biblioteca da Ajuda, collection Jesuitas na Ásia, volume 49/V/31, fol. 219v.

[99]  Voir l’étude faite à ce sujet par Manuel Cadafaz de Matos, dans son introduction à la réédition du premier ouvrage imprimé à Macao en 1588: Christiani pueri institutio, adolescentiaeque perfugium de Ioannes Bonifacio (Macao, Instituto Cultural de Macau, 1988).

[100]       Francisco de Santo Agostinho Macedo, Filippica Portuguesa contra la invectiva castellana [1645], citée par Charles Ralph Boxer, The Church Militant and Iberian Expansion 1440-1770, Baltimore / Londres, Johns Hopkins University Press, [1978], p. 91.

[101] Pour cette question, on voudra bien se reporter à notre étude L’œuvre de quelques pionniers portugais dans le domaine de la linguistique vietnamienne jusqu’en 1650 (cf. note 53).

[102] André Georges Haudricourt, « Origine des particularités de l’alphabet vietnamien », in Bulletin « Dân Việt Nam », cité ci-dessus, note 8.

[103]   Kenneth J. Gregerson, « A Study of Middle Vietnamese Phonology », in Bulletin de la Société des Études Indochinoises, nouv. série 44/2, 1969, p. 131-193.

[104]   Hoàng Thị Châu, Tiếng Việt trên các miền Đất nước (Phương ngữ học) [La langue vietnamienne dans les diverses régions du pays (dialectologie)] Hà Nội, Nhà xuất bản Khoa học Xã hội, 1989.

[105]   Une illustration de ce fait est fournie par Phạm Xuân Hy, « Ba bản “Kinh Tin Kính” bằng chữ Nôm » [trois versions du Credo en nôm], in Trần Anh Dũng (dir.), Hàng Giáo phẩm Công giáo Việt Nam 1960-1995 [La hiérarchie catholique vietnamienne 1960-1995], Paris, à compte d’auteur, 1996, p. 487-503. Voir en outre l’introduction à l’ouvrage de Vũõ Văn Kính, Đất nước 4000 năm: Bảng tra chữ Nôm thế kỷ xvii (Qua tác phẩm của Maiorica), Hồ Chí Minh Ville, Nhà xuất bản Thành phố Hồ Chí Minh, 1992.

     Sur le nôm, il existe une abondante bibliographie en langue vietnamienne. Nous nous contenterons de citer: Trần Nghĩa, « Introduction générale », in Catalogue des livres en Hannôm / Di sản Hán Nôm Việt Nam thư mục đề yếu, dir. par Trần Nghĩa et François Gros, Hà Nội, Éd. Sciences Sociales, 1993, tome I, p. 15-47; Nguyễn Đình Hòa, « Chữ-Nôm, The demotic system of writing in Vietnam », in Journal of the American Oriental Society, 1959; Bửu Cầm, « Nguồn gốc Chữ-nôm », in Văn-hóa Nguyệt-san 50, 1960, 347-355; Bửu Cầm, Dẫn-nhập nghiên-cứu Chữ-nôm, Sài-Gòn [1962].

[106]   Voir par exemple Stephen Neill, A history of Christian missions (cité note 84): « Further­more, he [Rhodes] rejected the tendency of the scholars to a high style of writing, with many words and phrases borrowed from Chinese and written in Chinese characters; he set himself to develop the quoc-ngu, the ordinary language of the people, and to make it a fit instrument for the expression of Christian truth » (p. 196-197).

[107]   Thành Khôi, Histoire du Viêt Nam des origines à 1858, Paris, Sudestasie, 1982, p. 290.

[108]   « Uma copiosa liuraria de 48 volumes, que compos, ou uerteo nesta lingoa, e letra natiua »: Francisco Rangel, Annua du Tonkin 1659, ARSI, Jap.-Sin. 64, fol. 366v. Girolamo Maiorica est un Jésuite italien missionnaire au Tonkin. Voir Hoàng Xuân Hãn, « Girolamo Majorica. Ses œuvres en langue vietnamienne conservées à la Bibliothèque Nationale de Paris », in Archivum Historicum Societatis Iesu, 22, 1953, p. 203-214.

[109]   Voir par exemple les catalogues des imprimeries de la mission de Qui Nhơn 1920, Kẻ Sở 1920 et 1925, Tân Định 1922, Hà Nội 1926, Phú Nhai 1927... On nous permettra d’y rajouter la réédition, en 1996, d’une très ancienne vie en nôm de S. Antoine de Padoue (ou plus exactement de Lisbonne), le saint portugais le plus populaire: Chuyện Ông Thánh An Tôn hay làm phép lạ, avec transcription de Nguyễn Hưng [Hồ Chí Minh-Ville, à compte d’auteur], 1995. La parution de ce petit volume, témoin d’une époque révolue car il est désormais indispensable d’accompagner le texte nôm d’une transcription en quốc ngữ, symbolise à nos yeux la vitalité, au-delà des siècles, d’un esprit de dialogue interculturel légué au catholicisme vietnamien par ses premiers missionnaires et sa première génération de fidèles.

[110]   Voir les réflexions de Francisco de Pina à ce sujet dans la lettre déjà citée (Biblioteca da Ajuda, vol. 49/V/7, fol. 413-416). Les premiers autographes de vietnamiens utilisant le quốc ngữ datent de 1659: ce sont des lettres adressées au Jésuite Giovanni Filippo Marini: ARSI, Jap.-Sin. 81, fol. 246-259v.

[111]   Voir André Marillier, Nos pères dans la foi. Notes sur le clergé catholique du Tonkin de 1666 à 1765, tome 3, [Paris], Églises d’Asie, [1995], p. 170-172. L’auteur a relevé systématiquement dans les archives des Missions Étrangères de Paris les allusions concernant l’usage de la langue et de ses deux écritures; les conclusions qu’il en tire rejoignent entièrement ce qui est exposé ici. Cela demande de réviser bien des affirmations rapides; nous en donnons comme exemple un point de vue très modéré, celui de Jean Comby: Alexandre de Rhodes n’est pas l’inventeur du quốc ngữ, mais il « a contribué à sa généralisation » (Deux mille ans d’évangélisation, Tournai, Desclée, 1992, p. 165-166). Parler de ‘généralisation’ au 17e siècle est totalement anachronique. Il en va de même pour l’affirmation de Henri Bernard-Maitre: « Alexandre de Rhodes doit être considéré comme le principal propagateur de cette géniale invention » (« Le P. de Rhodes et les Missions d’Indochine 1615-1645 », in Simon Delacroix (dir.), Histoire universelle des Missions catholiques, tome II, Paris, Grund, [1957], p. 53-69: p. 57). En effet, les ouvrages de Rhodes imprimés en quốc ngữ ont été fort peu ‘propagés’.

[112]   Nous n’utilisons pas ici les concepts « phonétique » et « phonologique » avec toute la rigueur à laquelle nous ont accoutumés les linguistes. Il s’agit d’ailleurs, dans le cas du quốc ngữ, de tendances qui n’ont rien d’absolu. La notation phonétique tend à représenter aussi fidèlement que possible les phénomènes articulatoires et acoustiques, c’est-à-dire ce qui est réellement prononcé et entendu. La phonologie, science récente, étudie les productions vocales sous l’angle du rôle qu’elles jouent (oppositions...), en s’appuyant sur les notions de système et de pertinence communicative.

[113]       Voir note 115 ci-dessous.

[114] En effet, les linguistes actuels considèrent que les trois consonnes finales nasales de l’arrière, mentionnés ci-dessus, ne s’opposent pas entre elles, mais sont en fait un seul archiphonème (“ ? ”), dont la réalisation phonétique varie uniquement en fonction de la voyelle précédente. Ainsi:

     – La variante dorso-vélaire [?] apparaýt:

       après les voyelles d’aperture maximale / a / (« lang »); et / $ / (« lăng »);

       après les voyelles centrales: / Ã / (« vâng »); / ? / (« lương »); et / G / (« lưng »);

       (rarement) après la voyelle antérieure ouverte / 8 / (« leng »);

       exceptionnellement après une voyelle postérieure ouverte peu arrondie / µ1 / (« boóng »);

     – La variante dorso-palatale [S] apparaýt après les voyelles antérieures / æ / (« lanh »); / e / (« lênh »); et / i / (« linh »);

     – La variante labio-vélaire [] (notée aux 17e et 18e siècles par le signe « ~ ») apparaýt après les voyelles postérieures arrondies / 1 / (« long »); / o / (« lông »); et / u / (« lung »).

     Le discours de la phonologie est le suivant: dans la mesure ó les voyelles sont toutes notées par des signes graphiques différents, les trois finales peuvent être notées par le même signe alphabétique, par exemple « ng ». L’obstacle est que les voyelles vietnamiennes / a / et / „ / sont toutes deux notées par le même signe « a ».

     Si ce problème était résolu, il ne resterait d’opposition qu’après la voyelle / 1 /, pour des mots de type « boong », « boóng », qui s’opposent à « bong », « bóng ». Mais ce sont des cas tout à fait exceptionnels, donc une opposition phonétique « peu rentable » en phonologie. L’ortho­graphe moderne a tourné ce problème en inventant le signe alphabétique « oo ». Les premiers créateurs du quốc ngữ avaient pour leur part emprunté à la langue portugaise le signe diacritique « ~ », (écrit sur « o » et « u » en position finale).

[115]   Il est fort intéressant d’observer sur le vif cette évolution chez une même personne. Ainsi, les dépositions des témoins au procès de canonisation des premiers martyrs espagnols du Viêt-nam ont été enregistrées, en 1746 et en 1768, par le même notaire vietnamien, un prêtre qui signe Jacobus Nguyễn; on peut constater qu’entre ces deux dates de nombreuses conventions orthographiques ont été modernisées (Archivio Segreto Vaticano, fonds Riti, respectivement no 3014 et 3013). Le meilleur témoin des changements reste cependant le Dictionarium Annamiticum Latinum de Pierre Pigneau de Béhaine, manuscrit achevé en 1772, publié ultérieurement par Jean-Louis Taberd: Dictionnarium Annamitico-Latinum, Serampore [Inde], 1838. Par contre les écrits de Philiphê do Rosário Bỉnh maintinrent jusqu’au bout les conventions anciennes; ce Jésuite vietnamien, qui vécut à Lisbonne de 1796 jusqu’à sa mort vers 1832, était un partisan convaincu du padroado portugais sur les missions du Viêt-nam et déplorait l’influence des missionnaires français (voir Biblioteca Apostolica Vaticana, fonds Codici Borgiani Tonchinesi, no 1 à 23).

[116]   Voir les précisions ci-dessus note 3.

[117] L’intérêt du quốc ngữ a été entrevu dès 1907-1908 par le mouvement littéraire patriote dit « École de la Juste Cause » (Đông kinh Nghĩa Thục). Le manifeste de ce mouvement, qui fut presque aussitôt réprimé par les autorités coloniales, attribue d’ailleurs la création du quốc ngữ aux « prêtres portugais » sans autre précision. Nous citons d’après Văn tuyên văn học Việt Nam 1858-1930 [Manifestes littéraires du Viêt-nam 1858-1930], Hà Nội, Nhà xuất bản Giáo dục, 1981, p. 195. Voir aussi Nguyễn Khắc Viện (dir.), Anthologie de la littérature vietnamienne, Tome iii, Hà Nội, Éd. en Langues Étrangères, 1975, p. 25-30 et 248.

[118]   Voir par ex. Thành Khôi, « Introduction à l’histoire et à la culture du Viêt-nam », in La jaune et la rouge [Paris, École Polytechnique], no 525, 5.1997 (p. 5-13): p. 13. Dans cet article, l’historien semble avoir nuancé son jugement cité ci-dessus (cf. note 107).

[119]   Voici comment cet aspect des choses est présenté dans l’un des textes décisifs pour la réhabilitation de Rhodes, déjà mentionné: « Together with European missionaries he set to romanize the script of Vietnam, using the Roman alphabet to record the Vietnamese language. It took the group nearly half a century to complete this collective work in which Alexandre de Rhodes played the main role. Not until two centuries latter did quốc ngữ (national script) become the popular written language of Vietnam and efficient vehicle in the modernization of the Vietnamese society... Alexandre de Rhodes’s services to Vietnam are immeasurable... It is time to correct the erroneous appraisal... and to do him justice in the light of truth and fairness... » (« Let’s do Justice to Alexandre de Rhodes »: Vietnam Social Sciences [Hà Nội] 40, 2/1994, p. 88-89). De notre point de vue, ce qui est porté ici au crédit d’Alexandre de Rhodes s’applique aussi, bien suâr, aux missionnaires portugais.

     Certains sont même allés jusqu’à faire du quốc ngữ un «véhicule idéologique» adaptable à des finalités diverses. Une opinion de ce type, qui avait cours avant la réhabilitation de Rhodes, est bien illustrée par le texte de Trần Văn Giàu, « Từ một vũ khí của xâm lược thực dân trở thành một vũ khí của đấu tranh giải phóng dân tộc » [Une arme d’exploitation coloniale se transforme en une arme pour la lutte de libération du peuple], dans l’ouvrage Một số vấn đề ngôn ngữ học Việt Nam [Quelques questions de linguistique vietnamienne], Hà Nội, 1981, p. 185-186. Voir aussi note 85.

[120]   Sur cette question, voir les réflexions de Nguyễn Phú Phong, « Le vietnamien: un cas de romanisation inachevée », in Cahiers d’Études Vietnamiennes [Université Paris vii], 10, 1989-1990, p. 25-32.