L’unité

 des trois religions au Vietnam

Mythe et réalité

 

Trần Văn Toàn

 

                                                                                                                 

Remarques préliminaires

En Extrême-Orient on connaît depuis longtemps l’expression « les trois religions », désignant le confucianisme et le taoïsme, nés sur le sol chinois, et le bouddhisme, importé de l’Inde. C’est effectivement cette situation culturelle que les missionnaires occidentaux rencontrèrent dès leur arrivée au XVe siècle.

Mais l’observateur avisé pourrait se demander : Pourquoi seulement trois ? Puisque l’on connaît, en plus de ces religions dotées de livres, un culte officiel des héros nationaux et un culte populaire très répandu et qui s’adresse à d’innombrables divinités et esprits, représentant des puissances de la nature. Le confucianisme et le taoïsme en ont même introduit un certain nombre dans leur culte, mais il en existe encore bien d’autres, auxquelles a population rend des cultes variés, généralement de style chamanique, et qui pivotent autour du culte des déesses-mères. C’est à ce culte, pratiqué dans des séances de possession, que Maurice Durand a consacré la première étude assez fouillée, mais limitée au Vietnam du Nord[1]. Oui, pourquoi seulement trois ?

Je proposerais à ce sujet une petite explication. Le mot « religion » est difficile à définir, tout le monde le sait, aussi bien en Occident qu’en Orient. Aujourd’hui on cherche en Occident à faire la distinction, d’une part, chez les chrétiens, entre foi et religion, et d’autre part, dans le domaine social et politique, entre religion et secte. En vain, vu le grand boom des nouvelles associations, créées surtout en Amérique, qui revendiquent le label de religion et d’ Eglise, tout en s’opposant fortement aux religions et Eglises historiques. En Orient, et nous y sommes, on combine deux mots chinois zong jiào (Vietnamien : toân giaùo) pour traduire le mot occidental religion. Or ces deux mots signifient plutôt enseignement ou doctrine ancestrale. Autrement dit, on ne définit pas la religion par son contenu, son objet, mais par son mode de transmission. Si donc le confucianisme, le taoïsme et le bouddhisme sont appelés religions, jiào, c’est en plus, me semble-t-il, parce que ce sont des enseignements fixés par écrit dans des livres canoniques, ce qui n’est pas le cas des cultes populaires.

En voilà pour le nombre trois.

Ce qui me paraît faire problème, ce n’est pas l’existence de trois ou de quatre religions, c’est l’affirmation de leur unité. On parle volontiers de leur harmonie, on dit qu’elles ont la même origine, on prétend que leur synthèse est faite, et aujourd’hui, à en croire certains, c’est la bouddhisme qui, par sa capacité illimitée d’adaptation, aurait été le facteur déterminant de cette synthèse, laquelle précisément devrait définir et délimiter l’identité culturelle de la nationale.

Cette idée d’harmonie, d’unité, voire d’identité, affirmée d’emblée comme allant de soi, me laisse perplexe. Tout d’abord, parce qu’une synthèse exige, à mon avis, que l’on connaisse de chacune des doctrines son essence, son principe fondateur et sa structuration, et que l’on parvienne à en articuler les éléments en un tout cohérent. Un tel travail doit être l’œuvre d’un penseur bien informé et non le résultat hasardeux des mélanges de pratiques dans une masse d’individus anonymes, généralement mal informés sur les subtilités des doctrines et agissant selon leurs intérêts momentanés. Autrement ce serait du vulgaire syncrétisme, et d’ailleurs sur ce sujet c’est le mot « syncrétisme » (hoãn dung), entendu  avec la connotation de désordre, qu’utilisent de nos jours des chercheurs de l’Institut des Recherches sur les Religions à Haø Noäi.

Ensuite, parce que, si les génies religieux sont rares, il existe en revanche en Extrême-Orient plus d’un meneur d’hommes qui croient avoir en ce domaine la vocation d’unificateurs ou de « synthétiseurs », avec la prétention de dépasser toutes les religions particulières du passé. Je n’en cite que deux exemples. En premier lieu, le Caodaïsme au Vietnam, qui prétend unifier les trois religions de l’Asie avec le christianisme et le spiritisme venus d’Occident. On sait que ses fondateurs étaient des familiers du spiritisme, mais leur connaissance des autres religions, en particulier du christianisme, restait incertaine. En second lieu, le Moonisme, une secte fondée par le pasteur coréen Sun Myung Moon (né en 1920), et qui, malgré le nom officiel qu’il se donne, « Association pour l’Unification du Christianisme Mondial », reste en dehors des Eglises chrétiennes : aucune d’elles ne s’y reconnaît.

Suite à ces exemples, il est permis d’être méfiant à l’égard de ceux qui utilisent les grands mots comme « unification », « unifié », etc. qui révèlent chez leurs promoteurs plutôt un souhait ou une prétention qu’une réalité effective. Pensons, par exemple, en France, au Parti Socialiste Unifié (P.S.U.) dont se réclamait un Michel Rocard, et qui n’a pu rassembler qu’une petite minorité de socialistes. Je ne connais qu’un seul cas, la S.E.D. (Sozialistische Einheitspartei Deutschlands, le P.S.U. d’Allemagne) de feu la R.D.A., qui a unifié de force, au temps de la domination soviétique, socialistes et communistes allemands sous la direction des communistes. Autrement dans la réalité, l’unité ne se décrète pas, mais se base sur une position commune et se négocie très difficilement : pensons à l’Union Européenne ou à l’unité des chrétiens. En ce qui concerne le Vietnam, le Bouddhisme Unifié, malgré le nom qu’il s’est choisi, a dû et doit rencontrer le même genre de problème, interne et aussi externe. Interne, à cause de l’absence d’une instance gardienne d’une orthodoxie – on le présente volontiers comme anti-dogmatique – et externe, portant sur l’option d’engagement ou de désengagement par rapport à ce monde, surtout dans le monde politique depuis quelques décennies. Or il ne semble pas qu’il s’agisse d’un genre de « concile » ou de conciliabule destiné à unifier la pensée doctrinale, puisque le bouddhisme est, on l’a dit, anti-dogmatique.

Toutefois le fait est là : l’unité des trois religions a été affirmée, il faut en tenir compte. Ce qui me frappe dans le domaine de l’action, les hommes réagissent, non pas selon la réalité objective, mais selon ce qu’ils pensent de la réalité – vrai ou faux, peu importe –, c’est pourquoi, les discours, slogans, mots d’ordre, de la propagande ou de la désinformation, sont plus importants que la réalité éprouvée des faits, pour susciter un état de choses voulu. Cette remarque veut relativiser ce qui apparaît dans le sous-titre de mon intervention comme une opposition entre fiction et réalité. Car de nos jours, nous reconnaissons la valeur propre du mythe : un mode d’expression et non une simple fiction mensongère. Et en plus, du fait que le mythe, comme la mystification, peut avoir une action effective (allemand : Wirkung, wirken), il n’est pas sans rapport avec l’ordre de la réalité (Wirklichkeit)[2].

Il est utile d’explorer le thème de l’unité des trois religions, pour mettre au clair ce qu’il y a de vrai dans cette affaire. Mais c’est une tentative risquée, et le sujet est très délicat. On ne peut l’aborder ni sans le recul nécessaire, ni sans tenir compte de la diversité des avis,  des projets et intérêts actuellement en jeu. En attendant le résultat de cette recherche, je me propose de traiter ce sujet non pas directement, mais de biais, en présentant deux hypothèses de travail : a) comment l’idée de l’unité des trois religions agit-elle sur la formation d’une conscience identitaire ? et  b)  est-ce une synthèse ou du syncrétisme ?

 

1-      La formation d’une certaine conscience identitaire

            10- Le problème de l’identité nationale

Il me semble évident que l’idée de l’unité des trois religions, dont on parle comme d’une vérité incontestable, n’est pas tombée du ciel, comme une donnée depuis toujours.

En effet, quand le bouddhisme fut introduit en Chine, on crut d’abord qu’il s’agissait d’une variante indienne du taoïsme.  Puis, après y avoir regardé de plus près, on s’est rendu compte que ce n’était pas la même chose. Nous savons qu’au Vietnam, comme en Chine, le bouddhisme a été du XIe au XIVe siècle soutenu par des rois des dynasties Lyù et Traàn, avant de faire une longue traversée du désert, critiqué avec véhémence par les confucianistes.

Cette idée de l’unité des trois religions est, me semble-t-il, soit ou bien le résultat de « synthèses » trop rapidement conclues, soit l’équilibre factice, dû à la délimitation du domaine de chaque doctrine[3]  –  ce qui permet d’éviter des empiètements réciproques – , ainsi qu’à la transformation progressive du bouddhisme lui-même dans le sens des désirs de la population, ce qui, dans tous les cas,  élimine des sujets de controverse. Faisons confiance aux chercheurs pour trouver quand l’idée de l’unité des trois religions fut exprimée pour la première fois, dans quel contexte et dans quel but.  Je prends, quant à moi, cette idée comme une donnée culturelle dont je m’abstiens d’explorer la genèse historique.  Qu’elle soit  vraie ou non, nous pouvons en faire abstraction, car, comme dit précédemment, cela n’empêche nullement cette idée d’agir.

Quelle serait alors l’action de cette idée ? Que pourrait-on en faire ?

Tout d’abord il ne me semble pas – du moins jusqu’ici – que cette idée ait fonctionné comme une hypothèse de recherche, ouvrant la voie à des études approfondies pour parvenir à une vision claire et bien fondée des choses. Faudrait-il expliquer cette situation par la différence entre l’esprit oriental et l’esprit occidental, le premier étant censé tourné vers l’action plus que vers les questionnements théoriques comme ce fut le cas de la Grèce antique ?  Je ne saurais y répondre.

Mais à considérer l’histoire de la rencontre entre le Vietnam et l’Occident,  j’ai acquis cette impression que cette idée de l’unité des trois religions, héritée des Chinois, et probablement sans visée précise au début, soit devenue petit à petit le point de cristallisation pour une nouvelle conscience identitaire.

La première conscience de l’identité nationale du Vietnam s’est élaborée lors de la lutte pour l’indépendance par rapport à la Chine au Xe siècle. En effet, après avoir été intégré pendant onze siècles dans l’empire chinois, le Vietnam, constitué en Etat indépendant, maintient à la fois l’organisation administrative selon le modèle chinois et la langue chinoise comme langue de culture. Les trois religions se trouvaient aussi dans cet héritage commun, avec leurs livres canoniques écrits en chinois. Il est évident que pour se définir comme différent de la Chine, on ne pouvait faire appel à cet héritage culturel commun, mais aux considérations territoriales : le Ciel aurait donné le Nord aux empereurs de Chine et le Sud au roi ou empereur du Vietnam ; c’est ici dans le Sud que nous avons notre roi, nos montagnes, nos fleuves et nos divinités.

La rencontre avec l’Occident rend nécessaire une nouvelle définition de son identité nationale, et cette fois l’idée de l’unité des trois religions peut fonctionner, avec le risque de forger une identité fermée, immuable. On peut distinguer dans cette rencontre deux étapes : la première, pacifique, avec l’introduction du christianisme au XVIIe siècle par des missionnaires occidentaux ; la seconde, violente, avec l’intervention des armées étrangères au XIXe siècle, ce qui a pour conséquence la perte de l’indépendance nationale[4].

 

           11- Identification du champ religieux par des missionnaires

Pendant la première étape qui a duré environ deux siècles, les trois religions ont eu dans la rencontre l’avantage de premiers occupants du terrain. Elles n’avaient pas à se définir face à la dernière venue, c’était plutôt à celle-ci de se faire une place au soleil.

Se trouvant dans cet état de fait, les prédicateurs du christianisme devaient, d’un côté, chercher à connaître et à identifier tout ce qui se faisait en matière religieuse dans le pays et, de l’autre côté, se découvrir les premiers, en prenant clairement position par rapport aux croyances et pratiques religieuses existantes sur place.

Pour la première tâche, qui en somme ne comportait que peu de risques, ils pouvaient s’appuyer sur les travaux de leurs prédécesseurs ayant travaillé en Chine, comme l’italien Matteo Ricci, le belge Ferdinand Verbiest, etc., ainsi que des observations faites sur place. La moisson n’était pas maigre. Au XVIIe siècle on a vu publier en des langues européennes des livres sur le Vietnam, rédigés par plusieurs Jésuites : de Rhodes, Borri, Tisannier et Marini.  Du XVIIIe siècle nous trouvons à l’état de manuscrits (conservés aux archives de la Société des M.E.P.) deux œuvres qui furent utilisées au Nord-Vietnam et qui traitaient systématiquement des religions du Vietnam.  C’était des œuvres composées par des missionnaires italiens, de l’ordre des Augustins déchaussés : la première fut rédigée en latin, à l’usage des missionnaires par le P. Adrien de Sainte Thècle, le Opusculum de Sectis apud Sinenses et Tunkinenses (1750, AMEP, vol.667)[5] ; la seconde fut écrite en vietnamien romanisé, pour l’instruction des catéchistes, très probablement par Mgr. Hilaire Costa di Gesù, vicaire apostolique au Tonkin Oriental , le Tam Giaùo Chö Voïng (Les erreurs des trois religions, 1752, AMEP, V-1089).

Ces travaux  ne sont pas exempts d’erreurs, surtout en ce qui concerne le bouddhisme.  Mais c’est compréhensible, étant donné la documentation disponible à l’époque : en effet les livres canoniques du Bouddhisme n’ont été connus par les Occidentaux qu’au XIXe siècle, et comme le bouddhisme était déjà au XVIIe siècle dans une longue période de décadence, les quelques livres disponibles en chinois au Vietnam, ou bien n’étaient pas de première main, ou bien ne pouvaient être empruntés pour consultation qu’avec grande difficulté. Cela étant dit, il faut reconnaître que les écrits des missionnaires, surtout ceux des Augustins déchaussés, sont les premières synthèses connues sur les religions au Vietnam, avec une mine de faits observés. Reconnaissons aussi que les missionnaires se sont donné beaucoup de peine pour connaître les trois religions, alors que les adeptes de ces dernières se montraient moins curieux au sujet du christianisme.

 La  seconde tâche, au contraire, s’avérait plus délicate et beaucoup plus risquée, comme on l’aurait remarqué en lisant le titre du livre « Les erreurs des trois religions ». En effet l’obligation, pour le dernier venu, de se découvrir le premier, implique celle de prendre position, en discernant parmi les  croyances et pratiques religieuses existantes dans le pays, celles qui pour lui sont acceptables de celles qui ne le sont pas.  Les éléments acceptables ne font pas problème et on en parle peu ; les éléments inacceptables, on les développe en long et en large et on les qualifie d’erreurs ou de superstitions, pour désigner aux chrétiens ce à quoi ils ne devraient plus revenir.

Apparemment il y a de quoi fâcher tout le monde et liguer tout le monde contre soi. C’est ce que semble croire le Vénérable Thích Nhaát Haïnh dans son livre Hoa sen trong bieån löûa (Le Lotus au milieu de la mer de feu, Paris, Ronéo,1969).  Selon son interprétation, c’est l’absence d’intégration ou d’inculturation dans la culture locale et cette manie de critiquer tout le monde qui ont mis les chrétiens l’écart de la nation vietnamienne et déclenché les persécutions. Ce livre présente l’avantage de résumer, presque sans commentaire, tous les griefs, fondés ou non contre le christianisme.  C’est une relecture faite au milieu du XXe siècle de 400 ans d’histoire. Or, si l’on en croit le philosophe Raymond Aron  « l’histoire est la reconstitution par et pour les vivants de la vie des morts (…) Chaque société a son histoire et la décrit au fur et à mesure qu’elle change elle même »[6].   Je dirais, pour emprunter les termes du philosophe Alfred Schütz (1899-1959) que l’on relit l’histoire selon sa « situation biographique » (qui inclut entre autres sa formation, son milieu culturel, ses intérêts, ses désirs, ses projets, ses espérances). Cette relecture qui se veut nuancée tout en restant assez vague est donc elle aussi située.

Ainsi la prise de position du christianisme – risquée, disais-je – apparaît comme la volonté de critiquer tout le monde et de s’opposer à tout le monde.  A ce propos je ferais remarquer que la critique n’est pas le propre du christianisme occidental[7]. Personne, en effet n’ignore que pour le bouddhisme les opinions différentes de l’enseignement de l’Eveillé sont considérées comme de l’ignorance, premier chaînon de causes qui engendre tout ce monde d’illusion et de souffrance. Personne non plus n’oublie que dans les discussions avec leurs adversaires, les bouddhistes, en rejetant le tétralemme[8], ne leur laissent aucune chance. Il est en outre bien connu, qu’au Vietnam, à partir qu XVe siècle, c’est-à-dire à partir de la dynastie des Lê postérieurs, les historiens confucéens, tels Leâ Vaên Höu ou Ngoâ Só Lieân ont sévèrement critiqué le bouddhisme, les rois cependant ne touchèrent pas à ses privilèges acquis pendant les quatre siècles précédents, se contentant de ne pas en accorder de nouveaux. Faut-il préciser que les critiques du bouddhisme par des missionnaires chrétiens  ont été, pour la plupart, simplement reprises des confucianistes ? J’ajouterais enfin que les critiques dont on a parlé, étaient aux XVIIe et XVIIIe siècles soit publiées en Europe dans des langues européennes, soit restées au Vietnam à l’état de manuscrits, en latin ou en vietnamien romanisé, destinées à l’usage interne, et par conséquent, elles ne pouvaient guère être la cause éventuelle des persécutions de l’époque.

Au sujet de l’accusation souvent répétée du manque d’adaptation ou d’inculturation, je ferais deux remarques : a) Les chrétiens vietnamiens sont déjà, avant leur baptême, baignés dans le système politique et social confucéen. Comme leur entourage, ils vivent tout naturellement dans le cadre des trois liens (Souverain-sujet, Père/Parent-enfant, Epoux-épouse) et dans la pratique des cinq vertus (Humanité/bienveillance, Justice/attachement, Politesse/urbanité, Sagesse, Fidélité/confiance). Il faudrait donc réexaminer le bien fondé de l’accusation selon laquelle le christianisme aurait détruit les bonnes mœurs du pays.  b) Pour l’enseignement de la doctrine chrétienne, les missionnaires ont fait un grand effort dès le XVIIe siècle, avec l’aide des Vietnamiens,  pour prêcher et écrire en vietnamien, y compris en écriture vietnamienne sinisée (le nôm), et en même temps pour trouver des mots aptes à traduire des concepts chrétiens, alors que, à cette époque, et bien longtemps encore, les trois religions ont gardé leurs livres en chinois. De plus ils ont fait usage des formes littéraires en cours dans la population : poèmes didactiques, pièces de théâtre pour représenter les épisodes de l’Histoire Sainte ou de la vie des saints.

Si, faute d’adaptation ou d’inculturation, le message chrétien était incompréhensible, comment serait-il possible qu’il y ait eu des conversions, y compris dans les rangs des lettrés ou même dans les familles royales ? Ce n’était, bien sûr, que des conversions individuelles, car la situation n’était nullement comparable avec le bouddhisme, soutenu pendant quatre siècles par les souverains du pays.

En somme, si on laisse de côté le fait connu que ceux ont le pouvoir ont de tout temps la tentation de faire taire ceux qui ne sont pas d’accord avec eux, alors ici ce ne sont ni des critiques contre les autres religions, fréquentes déjà entre les trois religions, ni l’absence d’adaptation qui auraient pu être les causes de la persécution des chrétiens. A mon avis, les causes immédiates des persécutions – d’ailleurs ponctuelles et peu nombreuses pendant les XVIIe et XVIIIe siècles – ne sont pas à chercher au niveau théorique des considérations générales et abstraites, mais plutôt au niveau pratique, concret, de la vie religieuse. En effet, il existait dans chaque village le culte du génie tutélaire, auquel naturellement tout le monde participait.  Pour les chrétiens, qui autrement vivaient comme tout le monde, c’était un  grave problème : adorateurs du Dieu unique et transcendant, maître véritable du Ciel et de la Terre (Thieân Ñòa Chaân Chuùa), ils devaient renoncer à tous les esprits qui, n’étant pas le vrai Dieu, sont appelés des idoles, des adversaires de Dieu. Ainsi pour se faire dispenser de ce culte considéré comme idolâtrique, ils devaient négocier avec le conseil communal, moyennant paiement en espèces, comme « participation aux frais ». Solution pas toujours satisfaisante du point de vue doctrinal, ni toujours admise dans la pratique, car, d’un côté, certains missionnaires rigoristes la considérèrent comme une contribution détournée, mais effective, à l’idolâtrie et, de l’autre côté, certains conseils communaux, plus intransigeants et moins compréhensifs, refusèrent cette tractation assimilée à de la corruption et les dénoncèrent auprès des mandarins du district. La persécution décidée d’en haut, est renforcée en bas par la récompense accordée aux dénonciateurs – n’oublions cependant pas que certains non-chrétiens avaient de la pitié pour ceux qui étaient persécutés injustement.

Pour cette première étape, généralement paisible, les chrétiens furent de temps à autre poursuivis pour des raisons clairement religieuses, comme témoins du Dieu unique[9].  Cependant dans les Annales royales de l’époque, on signale en passant quelques persécutions ponctuelles en accusant d’une manière vague les chrétiens d’avoir perverti les mœurs.  Accusation étonnante, car, comme dit précédemment, les chrétiens respectent l’ordre politique et moral confucéen, dont ils se sentent  proches et qui en outre se trouve intégré dans leur système des Dix Commandements et malgré cela ils sont persécutés, comme dans la suite, précisément  par le pouvoir confucéen, sans se révolter contre le pouvoir légitime..

 

            12- Conscience identitaire face aux Occidentaux

Si la conscience identitaire est définie dans la première étape par rapport à la Chine, elle est redéfinie dans la seconde étape face à l’Occident au cours du XIXe siècle dans des conditions troubles : méfiance du roi Minh Maïng (1820-1841) à l’égard des Français qui ont travaillé avec son père, refus de la modernité et retour à la culture chinoise, persécution systématique des chrétiens ; puis intervention des armées étrangères, françaises et espagnoles ; défaite militaire du Vietnam divisé dans la suite en une colonie et deux protectorats ; chrétiens accusés en bloc de collaboration ; soulèvement, organisé par un groupe de lettrés, de villages non chrétiens pour attaquer des villages et hameaux chrétiens ; résistances royaliste, puis nationaliste et enfin communiste ; guerre de libération, division du pays et guerre entre les zones Nord et Sud, mouvement bouddhiste, victoire communiste et réunification du pays, exil d’environ un million de Vietnamiens, continuation de discussions animées entre exilés.

Et jusqu’à ce jour on se pose encore de temps à autre la question « qu’est-ce être Vietnamien ? » Les réponses sont souvent implicitement données, en laissant transparaître des exclusions d’un groupe par un autre : communistes,  puis bouddhistes s’identifiant à la nation, et enfin, comme pour éviter d’être mis à l’écart, un groupe de catholiques fonde l’association controversée « Catholiques et Nation ».

C’est dire qu’on est encore loin d’arriver à dépassionner l’étude de ces 200 dernières années. A ma connaissance, mise à part l’œuvre monumentale, en publication depuis 1969, très fouillée mais encore inachevée, de l’historien Etienne Voõ Ñöùc Haïnh, La place du Catholicisme dans les Relations entre la France et le Vietnam, on se trouve souvent devant des écrits, soit de témoins unilatéralement engagés, soit de militants politiques qui dans certains domaines semblent prendre beaucoup de libertés dans la sélection et l’interprétation des documents et des témoignages.

Je n’ai pas la compétence pour me risquer dans ce domaine piégé. Je me limiterai à deux remarques : a) on parle souvent de l’identité d’une nation ou d’une personne, comme si c’était quelque chose de figé une fois pour toutes, et non comme une réalité soumise continuellement à l’évolution. b) quand on lit des livres écrits par certains auteurs vietnamiens, il faut faire attention à leur mauvaise habitude d’employer des termes imprécis, habitude favorisée par l’absence de certaines formes grammaticales. Quand ils écrivent par exemple « coäng saûn », on ne sait pas s’ils veulent dire « la doctrine/théorie communiste », « le système/régime communiste », « les communistes », « des communistes » ou l’adjectif « communiste ».  De même le terme « Phaät giaùo » peut signifier « la doctrine bouddhique », « l’organisation/communauté (laquelle ?) bouddhique », « les bouddhistes », « des bouddhistes » ou l’adjectif « bouddhique ». On devine la difficulté d’en donner la traduction française précise. Mais cette imprécision entretenue, on l’aura deviné, rend possible des glissements de sens, dus à la négligence ou même voulus en vue de certaines manipulations .

Dans cette seconde étape de la rencontre avec l’Occident, on a perdu de vue le fait que                                                    depuis 200 ans les missionnaires envoyés par les autorités religieuses étaient venus non armés, sur des bateaux de commerçants, et on ne prend en compte désormais que le pays d’origine qu’ils avaient en commun avec les soldats récemment arrivés au pays sur ordre de leurs chefs politiques. Comme s’ils poursuivaient les mêmes buts, avec les mêmes moyens ! Peu de personnes étaient capables de faire la distinction et les chrétiens étaient coincés entre deux adversaires politiques. En tout cas l’amalgame fut vite fait.

Il me semble que c’est justement dans cette situation embrouillée que l’idée de l’unité des trois religions d’Asie fut redécouverte comme élément clef dans la redéfinition de l’identité asiatique par opposition à l’Occident. Face à cet Occident considéré maintenant comme indissolublement chrétien et colonialiste, impérialiste, on construit petit à petit, jusqu’à nos jours, des clichés contrastants,  flatteurs pour l’Orient. Et on y croit volontiers sans penser à les vérifier.

 Ainsi, d’un côté, on présente cette Asie de l’unité des trois religions comme naturellement dotée de l’esprit de tolérance, sans dogmatisme, toujours à la recherche de l’harmonie. Et c’est pourquoi, on proclame comme pour se convaincre soi-même qu’il n’y a pas eu de guerres de religion en Asie.  De l’autre côté, on dépeint l’Occident chrétien – et dans son sillage, les chrétiens vietnamiens – comme aspirant à la domination, cherchant à provoquer les conflits, avec à sa base une religion dogmatique, intolérante et incapable de s’adapter, de se mêler, ou du moins à s’entendre avec les autres.

Ces clichés ne sont pas sans conséquences pratiques : pas question de tolérer ceux qui sont intolérants ! On sait quelle action entreprendre. Et face à cet Occident, il faut revenir au fonds commun asiatique, à la Chine : c’est ce qu’a fait le roi Minh Maïng, confucianiste.

Tout d’abord l’action d’un certain nombre de lettrés confucianistes pendant le dernier quart du XIXe siècle.  Après la perte de l’indépendance nationale et la chute de la monarchie dans l’insignifiance, une partie d’entre eux, royalistes mais refusant le défaitisme du roi, se sentirent porteurs de la conscience nationale. Ils proclamèrent la guerre contre les Occidentaux et contre ces traîtres de chrétiens. N’étant pas assez forts contre l’armée étrangère, ils s’acharnèrent sur les chrétiens. Ils accusèrent violemment ces derniers d’avoir perdu le sens de la fidélité au souverain et de la piété filiale et d’avoir perverti les bonnes mœurs qui définissent l’humain. Curieusement, la postérité parle en bloc des lettrés comme étant tous des patriotes[10], en taisant le fait que la masse des mandarins ont bel et bien choisi de collaborer avec le pouvoir colonial. Quelques révolutionnaires cependant ont su garder le sens de la justice, en mentionnant des chrétiens résistants, dont un certain nombre ont été envoyés au bagne de  Poulo-Condor.

Les taoïstes semblent rester hors jeu, fidèles en tout temps à leur principe : se désengager de ce monde éphémère. Beaucoup les considèrent comme des chercheurs de l’immortalité dans un autre monde, ou simplement comme des adeptes des pratiques de la magie. Après la défaite des lettrés, les nationalistes, entre autres ceux du parti Quoác daân ñaûng, inspiré du Kuo Min Tang chinois, républicain, prennent la relève, mais, se rendant compte de la nécessité de réaliser l’union nationale, sans exclure personne, ils centrent leur lutte sur le plan politique et militaire. De toute façon, suite au retrait du Taoïsme et du recul du Confucianisme sur le plan politique, c’est,semble-t-il, le tour du Bouddhisme, resté auparavant à l’écart des choses de ce monde, d’occuper le devant de la scène.

Au XXe siècle, la greffe de la culture occidentale sur l’ancienne est devenue un fait et a apporté bien des changements. Mais certains intellectuels continuent à attaquer le caractère occidental, non national[11], du christianisme. Tout en écrivant désormais avec l’écriture romanisée, ils accusent les missionnaires d’avoir voulu, en inventant et en diffusant ce mode d’écriture, couper les racines … chinoises de la culture vietnamienne, pour faciliter la propagande religieuse. C’est simplement ignorer que l’écriture sinisée (nôm) est utilisée par les chrétiens dans leurs livres religieux du XVIIe jusqu’au milieu du XXe siècle, et que le premier dictionnaire nôm a été, en collaboration étroite avec des chrétiens vietnamiens, confectionné dès la fin du XVIIIe siècle par le missionnaire Pigneaux de Béhaine et imprimé au XIXe siècle par un autre missionnaire, Taberd. Alors qu’à l’époque les lettrés s’intéressaient plus au chinois qu’à l’écriture nôm de la langue nationale. Il y a bien d’autres accusations, mais laissons aux historiens le soin de démêler, hors du contexte passionné, le vrai et le faux

Quant aux communistes, il est permis, en un certain sens, de les considérer eux aussi comme des héritiers des confucianistes. En effet, si les confucianistes forment l’élite, consciente du devoir d’éduquer la masse, les communistes, eux aussi, conscients de former la nouvelle élite – ne revendiquent-ils pas d’être la conscience du prolétariat ? – éduquent et mobilisent la masse à la lutte, sans recourir à la religion, non seulement contre les forces d’occupation, mais aussi – et c’est leur nouveauté – contre les féodaux du pays, ainsi que contre les cléricalismes de tout bord.

Ainsi donc, au XXe siècle, depuis les années 60, les bouddhistes, considérés jusque là comme des adeptes du détachement de ce monde éphémère, illusoire et plein de souffrance,  se sont mobilisés sur le plan politique, avec un savoir-faire étonnant, comme mouvement religieux, pour défendre le Dharma et, depuis peu, les droits humains. Voulant sans doute donner à leur lutte la portée nationale, certains présentent la thèse que le bouddhisme (ou les bouddhistes ?) est identique à la nation vietnamienne et que par conséquent le bouddhisme (les bouddhistes ?), ne pouvant être que fidèle à soi-même, ne peut jamais être traître à la nation. Faut-il voir dans cette nouvelle définition de l’identité nationale l’inspiration du Bouddhisme Unifié ? Je ne saurais y répondre, car l’histoire de ces dernières quarante années n’a pu être abordée de manière dépassionnée, et avec le temps qui court beaucoup de témoins vont disparaître sans avoir l’opportunité de s’exprimer.

C’est avec ce retour du religieux que nous pouvons reprendre la question de l’unité des trois religions.

 

2-      Synthèse ou syncrétisme ?

Avec l’arrivée au Sud-Vietnam de nouveaux mouvements politico-religieux, tels le Caodaiïsme, le Bouddhisme Hoøa-Haûo, et des divers maîtres religieux (oâng ñaïo), le champ religieux déborde largement le cadre des trois religions. Mais déjà les religions traditionnelles, c’est-à-dire les trois religions, plus les cultes des héros nationaux, des déesses-mères et les divinités des trois ou quatre mondes, sont tellement imbriquées les unes dans les autres que les connaisseurs, contrairement à certains militants politiques, sont d’avis qu’il n’est pas possible d’attribuer à chacune d’elles tel ou tel pourcentage de la population[12]..

Ainsi, par exemple, le Vénérable Thích Nhaát Haïnh écrit en 1966, au cœur des luttes des bouddhistes contre le gouvernement sud-vietnamien, dans le livre mentionné plus haut  Hoa sen trong bieån löûa (Le lotus dans l’océan de feu), p. 15 : «La synthèse des trois religions est toujours réalisée parfaitement au niveau de la masse populaire, et c’est pourquoi le bouddhisme est le dénominateur commun des croyances populaires du Vietnam. Quand quelqu’un se présente comme confucianiste, il ne nie pas qu’il soit bouddhiste. Et quand il se présente comme bouddhiste, il ne nie pas qu’il soit confucianiste. Voilà pourquoi au Vietnam on ne peut pas dire que dans la population il y a tel ou tel pourcentage de confucianistes, de taoïstes ou de bouddhistes … L’idée de ‘l’unité des trois religions’, issue de l’époque des dynasties Lyù et Traàn a donné aux croyances populaires du Vietnam un aspect de synthèse. Si nous étudions la vie religieuse d’une famille paysanne, par exemple, nous y trouverons intimement harmonisés  des éléments bouddhistes, taoïstes et confucianistes. Les croyances  populaires au Vietnam n’ont jamais été du bouddhisme pur : en plus des  éléments confucianistes et taoïstes, elles comportent encore des croyances typiquement locales qui ont existé bien avant l’arrivée des trois religion. ».

A ce propos, il nous semble que, pour avoir voulu trop ou tout embrasser, le Vénérable ait dû entendre les mots « synthèse » et « harmonie », dans un sens trop large, sans expliquer qui aurait pu élaborer la synthèse, en quoi cette synthèse serait parfaite, en quoi consisterait l’harmonie intime, pourquoi et en quoi le bouddhisme pourrait être le dénominateur commun. Malgré tous les propos assez bien nuancés qu’on vient de lire plus haut, l’affirmation générale du caractère non dogmatique de ce « dénominateur commun » comporte cet avantage pratique de présenter presque tous les Vietnamiens adeptes de divers cultes comme étant des bouddhistes. Mais l’inconvénient c’est que, dans la pratique également, on ne peut plus contrôler la vraie position de tous ceux qui se présentent comme bouddhistes ou de certains qui agissent plus que bruyamment en son nom.

Revenons à la question de l’unité des trois religions, non pas en faisant la comparaison, toujours très difficile et délicate, entre les textes doctrinaux, mais en s’appuyant sur les faits de la vie quotidienne.

 

21- Absence de confrontation

 Tout d’abord notons que l’on parle d’unité ou d’harmonie, dans un sens mal défini, en arguant qu’il n’y a pas eu de confrontation ou de guerre de religion. Une petite nuance s’impose ici. Rappelons encore ici que, d’une part, le pouvoir confucéen a pendant plusieurs siècles considéré l’ordre moral et politique préconisé par Maître Kong comme la voie correcte et les autres doctrines comme des voies déviantes qu’il faudrait avoir à l’œil, et que, d’autre part, pour les disciples de l’Eveillé les voies différentes du sien relève tout simplement de l’ignorance. Face à ces prises de position tranchées de la part des élites bien instruites, les gens du peuple, semble-t-il, se composent, comme par bricolage, chacun pour soi et selon les circonstances variables, une voie pratique, qui ne cherche pas nécessairement la cohérence.

Par ailleurs cette absence de confrontation pourrait s’expliquer de plusieurs façons. Premièrement, par la séparation des domaines : en effet le confucianisme préconise l’engagement dans la construction de la société humaine, par l’instauration d’un ordre politique et moral basé sur les trois liens sociaux et les cinq vertus ; quant au taoïsme et au bouddhisme, ils visent précisément la sortie hors de ce monde éphémère ou illusoire, le premier, en cherchant l’immortalité dans un monde supérieur, et le second, en  refusant toute existence dans ce monde des choses conditionnées. Deuxièmement, par le compartimentage dans la vie de chacun : dans la première période de la vie, l’homme travaille activement dans l’esprit de Confucius à édifier le monde social dont il est responsable ; ensuite, à la retraite, il se retire de la vie active et se met à la recherche d’un autre monde, ou d’aucun autre monde. Enfin, troisièmement, la position dite non-dogmatique semble impliquer qu’on n’a pas de conviction à défendre, rendant vaine et inutile toute confrontation idéologique.

La séparation des domaines d’application pour chaque doctrine et le compartimentage de la vie de chacun rendent inutile l’unification des doctrines ainsi que l’unité de la vie humaine. Si chacun s’intéresse au bon moment à son domaine ainsi délimité, il n’y aurait moins de conflit d’intérêts mondains. Certes, l’absence de confrontation peut ainsi garantir une certaine paix, mais on est loin de tendre soit vers l’accord entre les hommes, soit vers l’unité ou l’harmonie des doctrines.

 

22- Assimilation des panthéons

 L’absence de confrontation, due à l’absence de prise de position théorique – ou plutôt l’indifférence à l’égard des théories – favorise dans la population une certaine pratique relativiste et pluraliste, que certains qualifient de tolérante,  dans laquelle, pour les besoins de la cause on s’adresse indifféremment à des êtres supérieurs, quels qu’ils soient et quel que soit leur panthéon d’origine.

 Si dans la Grèce antique, la définition de la piété comme étant le fait de faire ce qui plaît aux divinités – dans le dialogue Euthyphron de Platon –, était mise en question par Socrate, arguant que ce qui plaît à l’une d’elles peut fort bien déplaire à une autre, la religion populaire au Vietnam, quant à elle, semble ignorer un tel questionnement théorique, puisque l’on n’aurait rien à perdre, pratiquement, à être en bons termes avec tous les êtres supérieurs.

Les êtres supérieurs tendent dans la conscience populaire  à être assimilés les uns aux autres. On parle de « Trôøi Phaät » (le Ciel-Bouddha), de « caàu Trôøi khaán Phaät » (prier le Ciel et implorer le Bouddha), ou de « Phaät Thaùnh Tieân » (Bouddha, les Saints ou les Sages, et les Immortels). Certaines divinités comme le soleil, la lune ou le dieu de la cuisine, sont même appelées bodhisattvas. L’assimilation ne peut jamais être – car paradoxalement ce serait alors la synthèse – car on trouve encore différents cas de figures. En effet, il existe souvent, dans les temples, des statues des divinités relevant de divers panthéons, avec la prédominance, selon les cas, du bouddhisme, du taoïsme, du confucianisme ou du culte populaire des déesses-mères  des trois ou quatre mondes. Avec, pour un certain nombre de cas, des temples où il y a de tout, sauf des divinités bouddhistes, et d’autres où il n’y a rien d’autre que des personnages bouddhistes.

Le culte des déesses-mères relève d’une autre origine que le bouddhisme, mais dans certains temples, on peut trouver une statue de Bouddha parmi celles des autres divinités, et dans quelques versions de leurs légendes, on peut même lire que la déesse-mère dont il s’agit, ayant été sauvée de la détresse par le Bouddha, auraient adhéré au bouddhisme, en prenant refuge auprès de Bouddha, de sa doctrine (Dharma) et de sa communauté (sangha). C’est le signe évident d’une tentative de récupération tardive par certains  bouddhistes, qui veulent par là affirmer la supériorité de leur religion sur le culte des déesses-mères, en faisant du Bouddha une divinité parmi les autres, mieux, la divinité la plus puissante, créatrice même de l’univers. Désormais dans le culte des déesses-mères on peut parfois trouver aussi bien l’insertion des invocations de Bouddha dans des poèmes chantés en l’honneur d’autres divinités, que la récitation des mantras ou des dharanis (en chinois : shen zhou)[13]. Certaines pagodes éditent et diffusent chaque année dans la population ces formules magiques, avec le calendrier des fêtes de toutes des religions traditionnelles[14], ainsi qu’avec des horoscopes très détaillés pour chaque jour de l’année. Ce processus confirme, encore une fois, la tendance d’un certain bouddhisme à vouloir pratiquement tout récupérer en son sein, sans toujours poser la question théorique de la compatibilité entre ces cultes et la doctrine des quatre nobles vérités.

Le rapprochement entre le bouddhisme et le culte des déesses-mères se trouve encore facilité par le fait que le bodhisattva Avalokitesvara, personnage masculin dans le bouddhisme indien, est devenu en Extrême-Orient une divinité féminine – Guan Yin en chinois, Quan Âm en vietnamien – déesse de la miséricorde et donneuse d’enfants.

Il n’est pas étonnant que dans cette situation où tout est mélangé – des publications vietnamiennes à l’étranger dirigées par une élite bouddhiste en témoignent – des Vietnamiens adeptes de divers cultes, surtout ceux qui se cherchent une identité culturelle dans les pays d’accueil, sont présentés tous, ou ont l’habitude de se présenter comme des bouddhistes. Sauf une petite minorité bien instruite, qui se présente comme confucianiste.

Un autre fait remarquable : même la morale politique, sociale et familiale enseignée par le confucianisme et adoptée sans difficulté par les chrétiens vietnamiens[15], et qui se résume dans les deux vertus, la fidélité au souverain et la piété filiale, est présentée aux masses populaires tout simplement comme l’enseignement de Bouddha lui-même. On diffuse encore de nos jours des petits livres populaires qui parlent en ce sens. Encore une confirmation de la situation des religions au Vietnam.

Notons cependant qu’il existe des résistances à cette tendance au mélange. Tout d’abord le culte des héros nationaux, en particulier celui du Général Traàn Höng Ñaïo, le vainqueur des envahisseurs mongols  au XIIIe siècle, fonctionne dans son cadre propre, dans ses temples propres, différents des pagodes bouddhiques. De même les séances de possessions médiumniques font intervenir des déesses-mères et les esprits des trois ou des quatre mondes, mais non pas des divinités bouddhiques. Dans bon nombre de temples relevant de ce culte il n’y a pas de statue de Bouddha. Enfin, le culte taoïste, qui à ma connaissance n’est pas encore l’objet d’études bien fouillées au Vietnam[16], possède un panthéon bien fourni, mais difficilement réductible aux bouddhas ou bodhisattvas. Comme dans la population, il ne semble pas y avoir de distinction très nette entre les rites funéraires confucianistes, bouddhiques ou taoïstes, il serait intéressant de procéder dans ce domaine à une étude comparative précise.

 

23- Récapitulation

Après la chute de la monarchie et l’éclipse de l’élite confucéenne qui l’a soutenue, le confucianisme, doctrine d’Etat pendant plus de cinq siècles, disparaît du champ politique. De plus, le taoïsme, fidèle à ses principes, se maintient à l’écart des luttes pour la gloire et la richesse dans ce monde. C’est donc dans cette situation qu’une certaine élite bouddhiste se met à récupérer et à entretenir les pratiques religieuses des autres religions, et présente le bouddhisme comme le dénominateur commun dans la synthèse et l’harmonie des religions traditionnelles au Vietnam, mieux, comme porteur de la culture vietnamienne toute entière. Et cela surtout depuis que des bouddhistes, laissant de côté la voie pure de la méditation de la vacuité, ont choisi, au nom du Dharma, de se salir les mains dans les bagarres politiques, humaines trop humaines, de ce monde.

Cependant, à mon avis,  le vrai dénominateur commun dans la vie sociale au Vietnam ne réside moins dans les théories métaphysiques, d’ailleurs très divergentes, des différentes religions, que dans la mise en pratique généralisée de la morale confucéenne. Et cela malgré le fait que le confucianisme n’est pas représenté par un parti politique. En effet, contrairement à certaines religions qui présentent sur l’au-delà des descriptions détaillées et saisissantes, Maître Kong a une attitude nettement réservée face à ces questions sur la religion, sur l’au-delà. Il se demande : « Le Ciel lui-même parle-t-il jamais ? Les quatre saisons se succèdent, les cent créatures prolifèrent : qu’est-il besoin au Ciel de parler, » (Lunyu, XVII, 19) . Il recommande à ses disciples d’ « honorer esprits et démons tout en les tenant à distance ». Et à Zilu qui demande comment servir les esprits, il répond : « Tant qu’on ne sait pas servir les hommes, comment peut-on servir leurs mânes ? » (Lunyu, VI, 20).. Au sujet de la mort, il dit : « Tant qu’on ne sait pas ce qu’est la vie, comment peut-on savoir ce qu’est la mort ? » (Lunyu, XI, 11). Sa morale enseigne la loyauté envers l’autorité politique, la piété filiale envers les parents et les cinq vertus régissant les rapports humains en général. C’est elle qui imprègne toute la vie en société.

Nous arrivons maintenant à la question posée : synthèse ou syncrétisme ?

S’il faut donner une réponse claire, j’opterais pour syncrétisme, du moins pour la très longue période où les trois religions pouvaient s’affirmer ensemble sans contrainte. Car une synthèse se devrait d’être bien plus réfléchie et plus cohérente.

Je reprends la remarque de Madame le Professeur Julia Ching sur la Chine, mais qui me semble aussi valable pour le Vietnam : « Ce syncrétisme a surtout été le fait des couches populaires ; il a conduit à une harmonisation, au service du bouddhisme, entre bouddhisme et taoïsme et entre les trois religions de la Chine, pour aboutir en fin de compte à une religion populaire qui emprunte aux trois religions »[17] ; cependant avec cette grande réserve que je n’aurais pas utilisé le mot « harmonisation » qui implique, à mon avis, une opération plus consciente et mieux contrôlée, ce qui ne semble pas être le cas de la masse d’individus anonymes. En philosophie il peut y avoir chez certains penseurs du syncrétisme, mais ils organisent les éléments de différentes origines en une unité cohérente et structurée. Le syncrétisme dont il s’agit ici ne me semble aboutir ni à une unité doctrinale, ni à une unité pratique des trois religions.

Pour la période contemporaine, j’hésite à attribuer au bouddhisme, du moins dans son inspiration fondatrice, la faculté immense d’adaptation lui permettant de tout digérer, sans perdre sa propre identité. Je cite encore le Professeur Julia Ching : « Si le bouddhisme a survécu en Chine, c’est en se mettant au service d’idéaux chinois, notamment les valeurs familiales confucianistes, conformant ainsi une affirmation fondamentalement chinoise : celle de l’importance de cette vie et de ce monde (…) L’accent mis sur l’idéal du bodhisattva donne pratiquement congé à l’idée de nirvana, remplacée par le désir de la renaissance dans le Pays Pur »[18]. Ce qui semble bien s’appliquer tout d’abord au bouddhisme populaire vietnamien qui, on l’a vu, attribue la morale confucéenne à l’enseignement de Bouddha lui-même et, ensuite à une branche du bouddhisme qui revendique la représentation de la nation vietnamienne et la direction de la lutte politique, confirmant éloquemment par là même l’importance et la consistance de cette vie et de ce monde.

Je prends acte de ces faits. Ceux-ci me suggèrent précisément de poser le problème d’un autre point de vue. Non pas le point de vue de ceux qui, tout en voulant maintenir l’identité spécifique de sa doctrine ou religion, veulent l’adapter ou l’inculturer dans une culture nouvelle, ou la réaliser dans ce monde, mais celui des gens qui réceptionnent une religion nouvelle. Or nous connaissons l’adage de la philosophie classique en Occident – adage confirmé par la sociologie contemporaine – à savoir que : ce qui est reçu est réceptionné selon les modalités de celui qui le reçoit[19], c’est-à-dire selon sa conception du monde, ses désirs, ses attentes, ses projets et ses espérances. En ce sens, c’est la population du Vietnam qui a réceptionné à sa façon les trois religions traditionnelles venues de l’étranger –comme elle réceptionnera plus tard le christianisme.

Ce point de vue populaire pourrait expliquer : a) pourquoi les hautes spéculations du taoïsme ont moins de succès que les techniques magiques, attribuées au taoïsme, et qui servent, croit-on,  à dominer efficacement la nature ; b) pourquoi les petites gens s’intéressent plus à des pouvoirs extraordinaires attribués à des bouddhas et bodhisattvas (déclenchés par da récitation des formules secrètes) qu’à la doctrine de l’ascète Gautama, le Bouddha historique, selon laquelle il faut sortir de ce monde d’illusion et sans consistance. On a l’impression que les gens souhaitent des bonnes choses de ce monde,  comme par exemple la prospérité et le bonheur, et courent après tous ceux qui les leur promettent. On comprend aujourd’hui en Occident le succès des livres du Dalaï Lama sur le bonheur.

Si en Europe, Voltaire et Feuerbach, parodiant la Bible, affirment que ce n’est pas Dieu qui a créé l’homme à son image, mais c’est l’homme qui a créé Dieu à son image, on pourrait se demander si en Extrême-Orient, les peuples n’ont pas recréé Lao-Tse et Bouddha à leur image, selon leur désirs. De même : dans quelle mesure le bouddhisme a-t-il gagné les peuples d’Asie ? ou dans quelle mesure les peuples d’Asie ont-ils gagné le bouddhisme ?

La discussion menée ci-dessus sur l’unité, l’harmonie ou la synthèse des trois religions traditionnelles du Vietnam  ne vise qu’un but modeste : relever la complexité du problème, que souvent dans le feu de l’action idéologique on  tend à simplifier à l’extrême. A ce sujet je voudrais faire deux remarques :

a) Les doctrines, en tant que systèmes théoriques cohérents construits sur des évidences spécifiques admises dès le point de départ, ne peuvent pas se mélanger. Il n’y a pas de dialogue entre les doctrines, mais seulement entre les personnes, sujets libres. Car dans la transmission à travers les générations, les doctrines sont réceptionnées par des hommes qui les comprennent, les interprètent et les assouplissent à leur manière, selon leur situation biographique. D’où la naissance des écoles et sectes divergentes. Il est donc important de savoir distinguer les doctrines de ceux qui s’en réclament.

b) Les harmonisations sont le fait des hommes qui cherchent la cohérence en eux-mêmes, en se servant, comme à la carte, des éléments doctrinaux disponibles dans la culture ambiante et interprétés à leur façon. Le dialogue des cultures est difficile, si les hommes sont crispés sur leur identité fermée, avec un ensemble immuable d’évidences, d’expériences propres et d’ interprétations. Ce serait un dialogue de sourds. Le dialogue commence à l’intérieur de chaque personne qui dispose des éléments de plusieurs doctrines et qui cherche, dans la critique et l’autocritique, à en faire une synthèse cohérente pour elle-même, ou qui se contente simplement de les juxtaposer. Ce sont ces personnes qui sont capables de dialoguer avec les autres. L’unité ou l’harmonie sont à chercher dans le dialogue exigeant entre de telles personnes.


 

[1] Maurice Durand, Techniques et Panthéon des médiums vietnamiens (Ñoàng), EFEO, 1959, 333 p., avec beaucoup d’illustrations et 24 chants de culte (vaên chaàu). J’ai consacré aussi à ce sujet une étude, limitée au Centre-Vietnam :  « Contribution à l’étude des phénomènes religieux au Vietnam. La Sainte Religion de l’Immortelle Céleste dans la région de Hué (Centre-Vietnam), dans la Revue du Sud-Est Asiatique, Université Libre de Bruxelles, 1966/1, pp. 77-102 ; 1966/2, pp. 241-258 ; 1967/1, pp. 103- 130. D’autres ont élargi le domaine des recherches au Centre et au Sud-Vietnam. Citons seulement la toute dernière publication, en vietnamien, sous la direction du Pr  Ngoâ Ñöùc Thònh : Ñaïo Maãu ôû Vieät Nam (La religion des déesses-mères au Vietnam) Haø Noäi, 2002, 2 tomes, 492 + 402 p., avec un recueil de 100 chants de culte.

[2] Le mot français réalité dérivant du latin res (chose) a un sens plutôt statique, chosiste : être là comme une chose.

[3] Ainsi les confucianistes s’engagent dans ce monde politique et social, laissant aux bouddhistes les spéculations sur l’au-delà de ce monde ainsi que les rites autour de la mort.

[4] Il serait tentant de confondre, comme le font certains historiens vietnamiens,  l’ après cela avec l’ à cause de cela et de considérer la première étape comme la cause de la seconde et de conclure que les missionnaires ont été des éclaireurs, préparant la voie aux conquérants. C’est dans la même confusion qu’à l’époque de la lutte pour l’indépendance des colonies après la Seconde Guerre Mondiale, des Indiens, ayant vécu douloureusement la partition politico-religieuse de l’Inde en deux Etats ennemis, ont interprété le christianisme et la colonisation comme étant les deux faces, spirituelle et matérielle, d’une même et unique agression de l’Europe contre l’Asie. Ce faisant, ils ont oublié qu’en Europe, contrairement à l’Islam qui avait conquis une très grande partie de l’Inde, il y avait eu le principe et la volonté de séparer la religion de la politique, qui vont chacune selon sa voie propre et ses moyens propres (C’est le principe de la laïcité : rendez à César ce qui est à César et à Dieu ce qui est à Dieu). La prise de conscience de la pluralité des causes devrait nous préserver de cette confusion.

[5] L’oeuvre a été publiée avec traduction anglaise par Olga Dror : Father Adriano di St. Thecla, Opusculum de Sectis aqud Sinenses et Tunkinenses (A small Treatise on the Sects among the Chinese and Tonkinense) : A   Study of Religion in China and North Vietnam in the Eighteenth Century, Cornell University, Ithaca, New York, 2002,239 p. avec texte latin en annexe. 

[6] Dimensions de la conscience historique, Paris, 1965, pp. 12 + 18.

[7] L’esprit critique qui, contrairement aux apparences, implique avant tout l’autocritique, le christianisme occidental l’a hérité de la Raison grecque, à laquelle il a été longtemps lui-même confronté.

[8] Refus de quatre positions possibles : A, non-A, A et non-A, ni A ni non-A. Cf. l’application rigoureuse de ce principe dans : Nagarjuna, Stances du milieu par excellence (Madhyamaka-karikas), Traduit et annoté par Guy Bugault, Paris, Gallimard, 2002, 374 p.

[9] Comme ce fut le cas des premiers chrétiens accusés d’athéisme, parce qu’ils n’adoraient pas les divinités de l’Empire romain.

[10] Grâce à l’imprécision du langage, comme je l’ai signalé. L’expression « vaên thaân » peut en effet signifier « la classe des lettrés », « les lettrés » ou « des lettrés ».

[11] Depuis le XVIIe siècle les chrétiens se sont défendus contre une telle accusation en rappelant le fait que les trois religions sont d’origine étrangère.

[12]  Ainsi il y a une quarantaine d’années, face au mouvement bouddhiste au Sud-Vietnam qui revendiquait la représentation de 90% de la population, le gouvernement Ngoâ Ñình Dieäm répondit que la grande majorité des Vietnamiens pratiquent le culte des ancêtres (ñaïo oâng baø), et le gouvernement militaire qui lui succéda, qu’au Vietnam seuls les catholiques savent qui ils sont, puisque, sauf pour le petit nombre de religieux bouddhistes, il n’y a pas pour le reste de la population de rites d’initiation comme le baptême chez les chrétiens.

[13]  Formules magiques incompréhensibles, censées révélées par des bouddhas ou des bodhisattvas, et dont la récitation en un très grand nombre de fois est par elle-même efficace.

[14]  Mais cela n’empêche pas que les associations des cultes des déesses-mères éditent leurs calendriers propres.

[15]  Les chrétiens ont depuis le XVIIe siècle reconnu cette morale comme compatible et convergent avec le système des dix commandements de Dieu, en particulier avec le quatrième commandement. Le Père Six, le curé constructeur de la célèbre cathédrale de Phaùt-Dieäm (1825-1899), a lui-même composé – à l’instar du Gia huaán ca de Nguyeãn Traõi – plusieurs longs poèmes didactiques pour enseigner cette morale à ses paroissiens. (Cf. Mgr Armand Olichon, Le Père Six, curé de Phat-Diem, Vice-roi en Annam, Bloud & Gay, 1941, 147 p.  et l’ouvrage collectif en vietnamien dirigé par Nguyeãn Gia Ñeä,  TRAÀN  LUÏC, Montréal / Québec,  1996, 639 p.)

[16]  Avant de quitter  Hué, il y a bien longtemps, j’ai eu l’occasion de rencontrer le directeur du temple Linh Höïïu  Quaùn, sis au quartier de Gia Hoäi, de parler avec lui des cérémonies taoïstes et de feuilleter une pile de livres en chinois. Mon collègue à l’université de Hué, auquel j’avais recommandé d’y consacrer quelques recherches, ne l’a malheureusement pas fait

[17]  Dans Julia Ching et Hans Küng, Christianisme et religion chinoise, Paris, Seuil, 1991, p. 248.

[18]  Op. cit., p. 249.

[19]  Quidquid recipitur ad modum recipientis recipitur.